Mises en abymes

Le cinéma témoigne du réel en mettant la fiction en abyme

Il y a toujours eu des mises en abyme au cinéma, des films dans le film, c’est trop tentant. On l’a fait à titre de curiosité, de gadget, à titre d’indice (le film dans le film témoignant d’un monde, d’une réalité), d’anecdote ou de rappel, et parfois aussi on l’a pris pour thème. L’une des mises en abyme la plus métacinématographique est, étrangement, une fausse mise en abyme, un semblant de mise en abyme. En plaçant au cœur de son film La rose pourpre du Caire (1985) un autre film entièrement inventé et de même titre, La rose pourpre du Caire (1935), Woody Allen a pu faire croire que l’un, celui de 1985, se situait du côté du réel, tandis que l’autre, celui de 1935, se situait du côté de la fiction. En réalité le personnage de Cécilia, dans le film réalisé en 1985, vit la vie d’une femme de 1935 pendant la Grande Dépression, telle qu’on l’imagine en 1985. Il est aussi fictif que le film supposé réalisé en 1935 mais conçu pour les besoins du récit en 1985 – invention dans l’invention. L’effet de réel produit par ce dispositif tient au télescopage entre deux films différents. La rencontre de Tom Baxter et Cecilia fait surgir chez nous, les spectateurs, une émotion, la tristesse de voir une une jeune femme vouée à la souffrance et au malheur. Elle dit en même temps ce qu’est le cinéma : un système paradoxal de production du réel.
Témoigner du réel, ce peut être aussi témoigner de l’effacement du réel, de la déréalisation. Dans Le Deuxième Acte (2024), Quentin Dupieux généralise le procédé jusqu’à éliminer tout autre référent. Le cinéma n’y rencontre plus que le cinéma, et les acteurs des acteurs. La mise en abyme prend alors le chemin de l’effacement, de l’évidement. Le réel, s’il en est, n’est plus qu’un point qui s’efface à l’horizon.

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