S’évider, porté par l’inconnu

Je ne peux ouvrir un autre monde sans m’évider, me laisser porter par une force inconnue

Basculer d’un monde à l’autre ne laisse pas indemne. « J’étais impliqué dans un certain milieu, un certain cadre, j’y étais engagé, j’y avais mes habitudes, j’y trouvais des sécurités, des protections. On m’appréciait, on m’admirait parfois, on me soutenait. Toute ma vie, mon corps, mes idées, mes pensées, étaient gouvernés par cet environnement, et voici que tout d’un coup, sans préméditation, sans préavis, je me suis rendu compte que tout ça ne valait rien, que pour moi ça n’avait plus aucune importance, que les satisfactions que j’y trouvais n’étaient qu’un petit tas d’illusions. Dans le temps même où ce monde-là m’abandonnait, j’avais la sensation de me vider. » On peut imaginer que certains personnages de certains films auraient pu tenir ce discours. C’est le cas par exemple de Tony dans La Fièvre du Samedi Soir (John Badham, 1977), de Khadija dans Ghost Tropic (Bas Devos, 2020), ou de Elisabet Vogler dans Persona(Ingmar Bergman, 1966). Il n’y a guère de point commun entre un jeune italo-américain new-yorkais des années 1970, une femme de ménage maghrébine dans la Bruxelles du début du vingtième siècle et une actrice classique jouant Electre, sauf ce moment de vide absolu, de rien, dont il aura fallu faire l’expérience. Rien ne dit qu’ils aient véritablement franchi une frontière, qu’ils soient passés ou qu’ils désirent passer ou que l’occasion se soit véritablement présentée pour eux de passer dans un autre monde, mais le moment de vide, certainement, a eu lieu. Par cet anéantissement à la fois provisoire et définitif, tous trois se sont éloignés de leur lieu de vie, de leur chez soi. C’est un saut dans l’inconnu dont le film ne dit rien, ne peut rien dire.

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