Ajami (Scandar Copti et Yaron Shani, 2010)
La collision de mondes clos n’ouvre ni avenir, ni survie
Ce film, qui relate cinq histoires entremêlées, toutes situées dans la métropole de Jaffa/Tel Aviv, a été écrit et dirigé par deux metteurs en scène, Scandar Copti, un Arabe israélien qui a grandi à Ajami (un quartier de la ville de Jaffa), et Yaron Shani, Juif d’Israël. Scandar Copti joue le rôle de Binj, un Arabe du quartier amoureux d’une Juive. La plupart des autres interprètes sont des non-professionnels qui, lors du tournage effectué dans l’ordre chronologique, ignoraient le scénario, pour mieux vivre les situations. Cela donne au film un aspect proche du documentaire, un fort sentiment de réalité. Les personnages parlent soit arabe, soit hébreu, soit les deux langues.
Ce sont des jeunes comme tout le monde. S’ils avaient vécu ailleurs qu’à Jaffa (une ancienne ville arabe devenue la banlieue de Tel-Aviv), ils auraient suivi leur bonhomme de chemin. Ils auraient peut-être fait des études, ils se seraient mariés, ils auraient ouvert un commerce, ils auraient fondé une famille. Mais voilà, c’est à Jaffa qu’ils vivent et pas ailleurs, et à Jaffa on est Palestinien ou on est Juif, on est chrétien ou on est musulman, on est rattaché à une famille, à un groupe ou à un clan, et rien ne peut empêcher cela, rien ne peut dénouer ces liens. La maffia, les liens d’argent, de trafic ou de communauté vous gouvernent – point à la ligne. Les jeunes le savent. Résignés, ils ne se révoltent pas, ils jouent dans les marges du système – des marges tellement étroites qu’ils seront broyés. Pas d’avenir pour eux : tel est le constat imparable du film. Le pessimisme est radical. Dans ce monde où les Roméo et les Juliette ne sont pas si rares, leur mort ou leur écrasement ne peuvent être racontés qu’au cinéma. Il est peu probable que les médias en parlent, ou s’ils en parlent, ce sera toujours du point de vue étroit de l’un ou de l’autre.
Le paradoxe du film tient à sa simple existence. Qu’un jeune Juif et un jeune Arabe puissent signer ensemble un film aussi pessimiste démontre qu’il y a, quand même, une lueur d’espoir. La distance et l’extériorité peuvent faire surgir du nouveau. Que les deux metteurs en scène ne cachent pas leurs divergences politiques (Scandar Copti a refusé de représenter l’Etat d’Israël lors d’un festival de cinéma) montre que cette cohabitation ne repose pas sur un consensus fictif, mais sur une mise en mouvement.