En endurant les risques et périls d’une hybridation inéluctable, fatale
On peut se demander pourquoi la pureté est plus valorisée que le mélange. Elle est rare, fragile, incertaine, indémontrable, si exceptionnelle qu’il vaudrait mieux parler de fantasme de pureté, plutôt que de considération réelle. Elle oblige à un perpétuel travail de nettoyage, de récurage, d’élimination, voire de dénonciation ou de haine. C’est épuisant, interminable, et pourtant on n’arrive pas à s’en débarrasser, elle reste une perspective, un idéal qui s’impose en de nombreux lieux et circonstances. L’impureté n’est pas quelque chose qui se décide ou s’accepte, elle vient d’elle-même. Elle s’impose dans l’obscurité, la peine, parfois l’aveuglement. En la désignant d’un autre nom, par exemple hybridité, on la domestique.
Dans La Mouche de David Cronenberg (1988), Seth Brundle, brillant scientifique, s’est donné pour objectif de déplacer des objets par téléportation, sans les modifier ni les transformer en aucune façon. Il s’agit de les conserver tels quels, inchangés, identiques à eux-mêmes, dans leur pureté. L’accident arrive quand il fait la tentative de se téléporte lui-même : une mouche s’introduit dans son code génétique et le transforme peu à peu en créature immonde, répugnante, violente. Dans cette hybridation homme/animal, l’animal triomphe et détruit l’humain. Fécondée après la contamination, sa petite amie Veronica Quaife n’a pas d’autre ressource que d’avorter. Dans ce film l’hybridation est présentée comme une tragédie, une catastrophe. Elle détruit tout en l’homme : sa culture, sa langue, sa maîtrise et aussi sa beauté. Elle est pire qu’un mal, c’est un mal radical. Le film est la contrepartie du fantasme de pureté.
Il en va autrement, par exemple, dans Le Règne Animal (Thomas Cailley, 2023), où l’hybridation, vécue d’abord comme une catastrophe, peut être acceptée par curiosité, empathie ou même amour. Les mutants se savent différents, ils s’interrogent sur leur identité et finissent par s’adapter au mode de vie que leur constitution exige désormais. Les non-mutants peuvent les considérer comme des ennemis ou des êtres de compromis avec lesquels entrer en relation.