Je n’ai plus de « chez moi » sur lequel je puisse compter
Il y a cent raisons pour lesquelles on peut perdre son « chez soi » : crise familiale ou financière, expulsion, déménagement, maladie, etc., mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit dans cette proposition. Je parle ici d’un effacement de la dimension même du « chez moi », une expérience apparemment dépourvue de cause, de raison, qui m’arrive sans que j’aie eu le temps m’en apercevoir ou de l’analyser. Un lieu qui, jusqu’à présent, opérait comme chez moi, a perdu cette dimension. Je ne sais pas exactement pourquoi ni comment, mais c’est incontestable, indéniable, il faut prendre acte. Dans Christmas Eve in Miller’s Point (2024), Tyler Taormina nous fait ressentir cette expérience en restituant l’ambiance d’une maison familiale le jour de Noël. Toute la famille est là, l’organisation est parfaite, il y a de quoi manger, des cadeaux, des gestes d’affection ou d’amitié, des disputes, etc., mais la perception n’est plus la même, cette maison n’occupe plus la même place dans les esprits. On n’y peut rien, et ce n’est pas seulement parce que la maison va être vendue, c’est parce que la fête elle-même n’a plus la même légitimité. Dans ce cas, l’épuisement aura été lent, mais il est aussi des cas où il aura été rapide, brutal. Il peut arriver qu’une nuit, une personne quelconque, sans histoire, désinvestisse l’appartement où elle a vécu des dizaines d’années. Après avoir erré toute une nuit, la Khadija de Ghost Tropic (Bas Devos, 2020) se sent étrangère à sa propre vie. Il faut qu’elle fasse autrement, autre chose. Elle ne sait pas encore quoi, mais elle s’en va.