Le monde est parti, je dois te porter (Plan)
Le monde se retire, il faut que je te porte
Adresse à Jacques Derrida ou à son spectre, au sujet de la phrase qu’il a mise en valeur pendant sa toute dernière année d’enseignement
Une mise à l’épreuve, par le truchement du cinéma
Quand un vivant disparaît, un monde disparaît avec lui
Un monde se clôt; sans extériorité, je suis menacé d’épuisement, de dislocation
Il n’y a plus de monde, je survis dans un « sans monde »
Mon monde s’efface, il a presque disparu, plus personne ne le portera
Dans un monde qui va vers le chaos, il n’y a plus de « je » qui compte
Je m’accroche à l’ancien monde, qui résiste à la disparition
Je ne peux rien contre le mal radical, négation absolue du monde
Je dois coexister avec une crise écologique qui m’emporte
Dans ce monde réduit à la répétition d’un mécanisme, je deviens un élément de la machine
Une personne disparait, son monde me manque
Je suis incapable d’intérioriser les valeurs de ce monde
Je ne peux plus rien dire, j’en pleure
De l’ancien monde, il ne reste que la nostalgie qui survit en moi
Je suis en deuil irréparable
Ce monde n’étant pas le mien, je me réfugie dans un « hors monde » impartageable
Il ne me reste aucune place dans des mondes effacés par l’affrontement stérile de pouvoirs souverains
Ce monde étant inhabitable, je dois m’en aller, fuir, ne rien laisser derrière
Le monde semble avoir perdu ses principes et ses règles, il est en suspens, plus rien ne le porte
N’étant plus engagé dans le « commun » du monde, je dois créer un autre monde, « mon monde »
Le monde se vide, je suis moi-même vidé
Puisque le monde ne me porte pas, je décide de ne plus porter aucun monde
Je ne peux ouvrir un autre monde sans m’évider, me laisser porter par une force inconnue
Quand s’écroule tout ce qui pourrait nous porter, restent les spectres
Sans savoir où elle conduira, je soutiens l’hybridation du monde
Je me laisse entraîner dans l’affrontement de pouvoirs souverains
En deuil d’un monde, je te porte indéfiniment, condamné à ce que rien de nouveau ne puisse en émerger
Je porte ce reste qui, en survivant, peut produire du nouveau
Ce monde est fini, mais peut-être surgira de l’extérieur du nouveau qu’il faudra porter
Par amour, amitié, aimance, je me laisse porter, je te porte
L’épuisement d’un monde rend nécessaire, exigible, l’ouverture d’une autre alliance
Bénédiction : je parie sur ton avenir, sans préjuger de ce qu’il sera
De ce qui vient de l’autre, je me considère responsable
Je te fais survivre à travers les spectres
Il n’y aura de salut qu’en provenance de l’autre, du non-humain
Par l’œuvre que j’accomplis, je te porte
Au-delà de l’être, je ne peux pas te suivre