L’ange bleu (Josef Von Sternberg, 1929-30)

Les nazis sont arrivés au pouvoir car le vieux monde s’était déjà effondré

La question qui se pose en voyant L’Ange bleu est celle de son rapport avec la (future) montée du nazisme. L’intrigue se passe en 1925, le film a été tourné en 1929. Avant même sa rencontre avec Lola Lola, le professeur de lycée Emmanuel Rath est déjà au bout du rouleau. Célibataire, mélancolique, décalé par rapport au monde et aux jeunes, il n’a aucune raison de vivre. Dans sa cage, le petit oiseau a cessé de chanter. La bonne jette son cadavre (de l’oiseau) dans le poële. Le vieux monde est épuisé (l’acteur Emil Jannings qui joue le rôle du professeur tournera des films de propagande pour le IIIème Reich). Le professeur vit déjà dans la nostalgie. Les élèves se fichent du savoir classique dont il est porteur, et lui-même n’y croit pas. Il commence chaque cours en se mouchant, montrant le mépris latent qu’il a pour ce qu’il dit. La façon dont il sera ridiculisé dans la scène où il joue son rôle de clown devant toute sa ville natale réunie ne fait que reproduire son comportement pendant ses cours : un savoir vide de sens, un cocorico ridicule, un moralisme désuet. Emmanuel Rath déchu dit le vrai sur Emmanuel Rath professeur. 

Toutes les conditions sont réunies pour que le professeur se jette dans les bras d’un sauveur. Sous cet angle, la belle Marlène Dietrich est à la place… du führer. Elle séduit le vieil homme qui croit commencer une nouvelle vie. La jouissance qu’elle prétend lui apporter est l’antichambre de la destruction. Les mauvais élèves triomphants préfigurent les bandes nazies. Le patron de la troupe, illusionniste et manipulateur, tire les ficelles.

Avant même de tomber amoureux de la danseuse de cabaret Lola Lola (Marlène Dietrich), le professeur Rath a déjà perdu toute confiance et tout intérêt dans son propre savoir. L’image de dignité qu’il est chargé de transmettre aux élèves n’est pas seulement en décalage avec leurs attentes, mais aussi avec son propre désir. Le monde est en attente de quelque chose qui n’est plus de l’ordre de la connaissance, mais de la jouissance. Il est mûr pour la chute. Les nazis n’auront qu’à le ramasser. 

Ce film est prophétique. L’ange bleu (un nom de cabaret) est l’ange de la mort. L’effondrement du vieux monde précède la montée du nazisme et anticipe les drames du 20ème siècle. Quelques chansons suaves suffisent pour l’achever. Ce monde-là n’aura même pas le temps de s’agripper à ses vieux meubles (comme dans la dernière scène où le professeur mourant s’agrippe à son bureau de professeur) : il se dissoudra dans le post-nazisme.

Vues : 3

Pierre Delain

Initiateur et auteur du blog "Cinéma en déconstruction"

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