Manhunter (Michael Mann, 1986) (Le sixième sens)

Dans l’acte du criminel comme dans l’expérience du cinéma, il faut dominer l’image, la cadavériser, pour jouir du regard

Will Graham est un ancien agent du F.B.I., qui s’est retiré du métier après avoir été attaqué par un tueur en série cannibale, le psychiatre Hannibal Lecktor. Après l’avoir capturé, il a dû être hospitalisé pour une sévère dépression. Jack Crawford, son supérieur hiérarchique, le contacte pour un nouveau cas de tueur en série, un homme surnommé Tooth Fairy qui a tué deux familles à Birmingham et Atlanta en laissant des marques de morsure sur ses victimes. Graham promet à sa femme de se limiter à l’examen du dossier sans prendre de risques personnels. Il se rend toutefois à Atlanta examiner les lieux du crime pour mettre en œuvre sa méthode : s’identifier au criminel pour prévoir ses futurs actes. Après avoir découvert les empreintes digitales du tueur sur le corps d’une victime – une très belle femme qu’il n’a pas pu s’empêcher de caresser en retirant ses gants -, Graham décide de demander son avis à Lecktor, qui reste psychiatre malgré sa folie. Il lui remet le dossier, et Lecktor réussit par ruse à trouver son adresse personnelle. Entretemps, il est harcelé par le journaliste à scandale Freddy Lounds.

Quand Graham se rend à Birmingham examiner les lieux du crime, il reçoit un message de son supérieur lui annonçant que, par le biais d’un gardien, on a trouvé dans les vêtements de Lecktor un message de Tooth Fairy exprimant son admiration. Dans une partie manquante de cette lettre, on trouve les instructions qui permettent aux deux hommes de communiquer par le biais des petites annonces du National Tattler, le journal de Lounds, mais le code manque. Pour inciter Lecktor à se trahir, le journal publie un article faux et injurieux de Lounds sur Tooth Fairy. Celui-ci se venge en faisant brûler vif Lounds dans le parking du journal sur une chaise roulante.

Le FBI réussit finalement à décoder une fausse annonce dans le journal : c’est l’adresse de Graham. Il faut mettre sa famille à l’abri. Graham explique à son fils la dépression qu’il a eue, et pourquoi il a dû être hospitalisé. Le film montre ensuite le psychopathe : Francis Dollarhyde, un homme gigantesque, laid et solitaire qui travaille dans un laboratoire photographique de Saint-Louis. Il vit une aventure presque normale avec une de ses collègues aveugle, Reba, mais sa folie reprend le dessus lorsqu’il la croit infidèle. Il retourne chez elle et s’apprête à la tuer avec un morceau de miroir brisé. Graham se précipite à travers une vitre pour secourir Reba. Graham est au sol, Dollarhyde éteint les lumières avant de le tuer. Deux policiers arrivent. Ce sont eux qui sont tués, Graham se relève, blesse et tue Dollarhyde, et finit enfin par retrouver sa famille. 

Il est beaucoup question de regards dans ce film : miroirs, scènes de meurtres, conservation des images. Le tueur en série ne tue que certaines nuits, les nuits de la pleine lune (il faut qu’il fasse noir, mais pas tout à fait). Avant de tuer le journaliste, il l’oblige à regarder. Il travaille dans un laboratoire photographique, et sa dernière victime est une aveugle. Il la menace de mort avec des fragments de miroir et jouit de son incapacité à s’orienter. Il sait que, lui, il aura du plaisir à la voir mourir. On peut se voir dans des fragments de miroir, mais jamais en entier. Il faut faire trembler le stade du miroir – une identité jamais réconciliée. Pour éliminer le tueur, le policier brise une vitre transparente : la bonne brisure pourra remplacer la mauvaise. Le tueur regarde les gens mourir, il regarde les cadavres, il les photographie quand, eux, ils ne peuvent plus le voir. Il ne peut jouir du mal qu’à condition de le voir, à condition que son regard confirme le mal fait. Il ne peut pas s’empêcher de caresser les femmes après les avoir tuées : à ce moment, il les domine absolument, du regard et des mains (comme pour les aveugles, les mains sont des substituts du regard : on touche pour mieux voir). Le policier « profileur » s’identifie à ce regard, il va sur place l’expérimenter lui aussi, il faut qu’il voie ce que le tueur a vu, il faut qu’il l’imagine. S’il n’en jouissait pas lui aussi, il ne pourrait pas faire ce métier.

Pourquoi avoir titré ce film en français « le sixième sens »? Hypothèse : ce sixième sens est le sens cinématographique. Le cinéma, lui aussi, pratique le meurtre en série et jouit de son propre regard, au moment précis où ce regard devient le regard d’un autre. Le tueur est moins intéressé par la souffrance de l’autre, que par son propre regard sur cette souffrance. Son sadisme est fondé sur la pulsion scopique. Il est voyeur, mais ce n’est pas le corps sexuel qui l’intéresse, c’est le corps meurtri. Ce n’est probablement pas un hasard s’il s’en prend à des familles riches : une belle femme et d’adorables enfants (il en est réduit à contempler ce qu’il n’a pas). La pulsion scopique est chez lui déliée, souveraine. C’est elle qui gouverne les autres pulsions.

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Pierre Delain

Initiateur et auteur du blog "Cinéma en déconstruction"

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