La Chute (Oliver Hirschbiegel, 2004)

Avec le nazisme, il n’y a plus ni père ni fils, ni mère ni enfants, mais une seule chair qui ne peut que vivre et disparaître en même temps

Berlin, avril 1945. Le pays est sur le point de connaître un effondrement total. Des combats très rudes se déroulent de maison en maison. Avec quelques généraux et quelques fidèles, Hitler s’est retranché derrière les murs épais de son bunker, sous la chancellerie du Reich. Parmi eux, se trouve également Traudl Junge, sa secrétaire privée qui se refuse à l’abandonner. (Elle réussira plus tard à s’extraire du bunker, et témoignera de son aveuglement). La situation extérieure s’aggrave, l’Armée Rouge progresse à marche forcée. Dans la ville frappée par les bombardements, se déroulent des scènes désespérées. Bien que Berlin soit sur le point de tomber, le Führer refuse de quitter la ville. Son architecte Speer raconte qu’il veut « se tenir sur le podium tandis que le rideau tombe pour la dernière fois. » Mais ce n’est pas sur le podium qu’il se tient. Tandis que les conséquences de sa guerre détruisent tout espoir pour son peuple, il travaille à sa propre perte. Il épouse Eva Braun quelques heures avant leur suicide collectif. Il faut que cette dernière défaite soit réglée dans les moindres détails. Pour que leurs corps ne tombent pas aux mains de l’ennemi, ils seront incinérés. Le corps d’Hitler subit le même sort que celui des déportés : pure matière transformée en cendre, il ne devrait laisser aucune trace1. Goebbels et les généraux restants refusent de se rendre sans condition aux Russes. Bon nombre de leurs intimes choisissent également le suicide. Alors que la situation devient encore plus désespérée, Magda Goebbels décide d’empoisonner ses six enfants avant de se donner la mort avec son mari. Celui qui n’a pas hésité à tuer ses propres enfants était prêt à tuer tous les enfants de l’Allemagne. C’était, dit Pierre Legendre un boucher de la filiation. Il ne reconnaissait qu’un héritage : l’héritage biologique, et il en tirait implacablement toutes les conséquences. S’il n’est de filiation que dans la chair, alors la chair est unique, la défaite emporte avec elle toutes les chairs, y compris celle des enfants. Il n’y a plus de filiation du tout. Cette injonction est l’opposée de l’Oedipe. Il ne s’agit pas de prolonger le père, de se distinguer de lui en le remplaçant, il s’agit de le détruire en se détruisant soi-même. L’initiative ne vient pas de l’enfant, mais du père. Pour que je sois un père, il faut que tu me tues, et que tu payes le prix de ce meurtre en te tuant toi-même. Le fils identique au père doit subir le même sort. Cette injonction prolonge le bunker mental dans lequel les nazis étaient enfermés. C’est une figure du mal radical qui nie toute possibilité d’écart, de différence, de distinction. 

  1. Mais ce n’est pas le cas puisque nous en parlons, nous faisons des films à ce propos. ↩︎
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Pierre Delain

Initiateur et auteur du blog "Cinéma en déconstruction"

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