La plus puissante des emprises ne repose pas sur l’amour, mais sur la haine
C’est Freud qui a inventé la pulsion d’emprise (Bemächtigungstrieb), désignant par cette expression la tendance du bébé à saisir dans sa main les objets dont il peut s’emparer. « Le toucher est le commencement de toute emprise, de toute tentative pour mettre à son service une personne et une chose » a-t-il écrit. Des penseurs comme Alfred Adler voire Jacques Derrida lui-même (dans certains textes, sous le nom de pulsion de pouvoir) ont pensé que cette pulsion pouvait être la plus archaïque, la plus originaire. Ce n’était pas le point de vue de Freud pour qui les pulsions sexuelles ou la pulsion de mort restaient privilégiées. Quoiqu’il en soit la pulsion d’emprise, si l’on accepte ce terme, est indissociable des tendances à la destruction et la cruauté dont on constate malheureusement chaque jour qu’elles sont très répandues chez les humains – plus répandues encore que l’attirance sexuelle ou l’amour. Très souvent la pulsion d’emprise s’incarne dans des actes ou des stratégies associées à l’intérêt, le désir de posséder, la vengeance ou la haine.
L’étonnante popularité des films d’horreur est liée à ce type de mécanisme. S’emparer du corps, de la pensée ou des sensations d’un autre est une passion qui facilite l’identification et attire les spectateurs. Dans son film Weapons (2025), Jack Cregger imagine un acte magique qui fait d’un individu une arme. Mise au service d’un enfant, la sorcière transforme les personnes envoûtées en missiles agressifs qui mettent peu de temps pour faire d’un corps humain une masse sanguinolente. Toute individualité disparaît au profit de la pulsion primaire qui s’en est emparée : la haine. L’enfant harcelé est prêt à tout pour dominer le dominant. Son emprise, plus puissante que toute relation amoureuse, ne connait pas de limite. Les autres enfants sont déréglés, désorganisés, incapables d’initiative et perdent la parole pour longtemps, tandis que ses propres parents sont paralysés, lui laissant tout pouvoir pour faire ce qu’il veut. On voit mal ce qui peut briser ce type d’emprise, fondé sur la haine.