Répondre à l’expérience du Rien

La vie a pour enjeu de répondre à l’expérience du Rien

Dans la tradition de la Cabale, on se demande comment la création a pu se produire à partir de rien, du néant (en hébreu ayin, אין). L’hypothèse du rabbin Isaac Louria (1534-1572), c’est que Dieu, supposé infini, s’est retiré d’un point, un seul, créant un déséquilibre, un espace-temps dans lequel un mouvement pouvait se produire, un monde pouvait exister. Dans cette pensée, à l’origine de notre univers, il n’y a rien. L’écrire avec une majuscule, c’est considérer ce Rien comme productif, le lieu où des étincelles de nature inconnue s’évanouissent dans l’espace infini, ou se heurtent les uns aux autres, ou brisent les réceptacles dans lesquels elles sont confinées. Dans son cinéma, Eugène Green ne cesse de partir à la recherche, ou à l’assaut, de ce Rien. C’est le thème de son premier film, Toutes les Nuits (2001), où les deux amis, Henri et Jules, qui partent à la découverte du monde, ne font aucune référence à leurs parents. Se fabriquant à eux-mêmes leur propre passé à mesure qu’ils évoluent, ce sont de quasi orphelins, ainsi qu’Emilie dont tous deux tombent amoureux. Bien qu’elle reprenne la ferme de son père, Emilie vit seule et ne recueille rien de lui. Ces trois personnes sont trois des étincelles du Rien. Il résulte de leur vie, de leurs expériences, une quatrième étincelle, fille biologique d’Emilie et d’Henri, fille spirituelle de Jules. Cette jeune personne de 8 ans restée anonyme dans le film reçoit son éducation d’un tiers. On est choqué de la voir solitaire dans une chambre vide, abandonnée par ses parents; mais c’est notre condition à tous. Nous avons en charge le Rien qui nous fonde, et devons en faire quelque chose : une vie.

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