Souveraineté, croyance

Le souverain « digne de ce nom » est celui en lequel on croit, quelles que soient ses déclarations

En général, la souveraineté n’existe pas. Nul n’est jamais vraimentsouverain, ni une institution, ni un État, ni une personne, ni un dispositif quelconques. Il y a toujours des influences extérieures, des conditionnalités, des causalités divergentes, des modifications du milieu, des déplacements, des mutations qui affectent la survie du soi-disant souverain, le transforment et finalement le détruisent. C’est une illusion, un effet de croyance, un produit de la culture ou du pouvoir, mais malgré cela et peut-être à cause de cela, c’est aussi une création effective, tangible, qui laisse une puissante empreinte dans la vie culturelle, sociale, politique. Il n’y a pas seulement croyance en la souveraineté, il y a aussi confiance, adhésion, cohésion, qui produisent des effets politiques, sociaux, civilisationnels. L’expérience montre que l’assentiment au souverain peut aller très loin, y compris jusqu’à l’emprise, la dépendance, le totalitarisme, la folie. Aucune logique, aucune rationalité, aucune intérêt n’est complètement immunisé contre l’assujettissement, voire le culte à l’égard du souverain. Sans un certain degré d’obéissance volontaire ou de soumission, l’idée de souveraineté serait intenable. Il arrive que, quels que soient les actes de celui qui s’affirme souverain ou ses déclarations, la croyance soit indestructible. Alors la souveraineté est vraiment elle-même, digne de ce nom. Ce moment est le plus horrible, et aussi pour ceux qui le vivent le plus merveilleux.

La littérature et le cinéma nous proposent d’innombrables figures du souverain, plus ou moins crédibles, tentantes, désirables, plus ou moins épouvantables, radicales, absolues. L’une des descriptions les plus fascinantes est celle de George Orwell dans 1984 (un livre publié en 1948, adapté dans différents films dont celui de Michael Radford tourné, lui aussi, en 1984). Dans une société nommée Océanie qui pourrait ressembler à l’empire britannique, un pouvoir incarné par Big Brother contrôle tous les faits et gestes de la population. En son cœur, au-dessus des autres institutions (ministère de l’Amour, de la Vérité, etc), se trouve la police de la pensée. Le Parti dit Intérieur a compris que s’il contrôlait la pensée, tout le reste suivrait. Tous les moyens sont bons pour y parvenir : nouveau langage, passé réécrit, captation des pulsions, manipulation d’une opposition factice, menaces d’emprisonnement et de torture, etc. Pour atteindre une souveraineté absolue définie comme pur pouvoir, il faudrait contrôler absolument la pensée. Il ne suffit pas que les gens agissent conformément aux ordres, il faut que leur croyance soit absolument sincère, qu’ils aient entièrement confiance dans les déclarations du centre. Bien entendu c’est impossible, mais cela n’empêche pas que ce but soit méthodiquement poursuivi. Le souverain « digne de ce nom » doit exercer une emprise sans limite sur les sujets.

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