Le plaisir (et ses petits tracas) (Nicolas Boukhrief, 1997)

Une série de pures rencontres, sans autre motif que le plaisir et le sexe, n’a pas d’autre horizon que la mort

Résumé (Wikipedia)

Grièvement blessé lors d’une mission, Raphaël, jeune casque bleu, se retrouve cloué sur un lit d’hôpital, où il reçoit les doux soins d’une charmante infirmière, Vera, dont il s’éprend aussitôt. Émue par la détresse du soldat, celle-ci se donne à lui la veille de son départ en permission pour Saint Etienne. Une fois là-bas, la belle rejoint son fiancé, Roland, un comique raté, qui la soupçonne bientôt d’infidélité. Les jours passent, Vera est de nouveau sur le front, et Roland végète dans un cabaret miteux à Paris. Un soir, ce dernier empêche de justesse une femme, Hélène, de se précipiter sous un métro. Ils prolongent la soirée dans le cabaret désert. Hélène retrouve en Italie son mari Carlo. Les sentiments les unissent encore mais ils n’ont plus de relations sexuelles. Carlo cherche à mettre Rocco, un jeune sourd-muet dans les bras de sa femme, mais éprouve des réactions contradictoires à cette perspective. De retour à Paris, et assumant son homosexualité, Carlo rencontre un prostitué, Marcel, auquel il s’attache mais il succombe dans une boîte gay. Marcel rentre chez sa sœur Lise, actrice porno, et profite de son sommeil pour lui voler son argent liquide mais il est renversé par une moto au sortir de chez elle. Lise place son frère devenu végétatif dans une clinique où elle rencontre Michaël, garçon instable et tueur de dames.

Analyse

Le principe de construction du film est additif : on part d’un personnage (garçon) qui rencontre une fille, laquelle va se marier avec un (autre) garçon, lequel rencontre une autre femme, laquelle va retrouver son mari, lequel couche avec un gay, lequel a une soeur, laquelle rencontre le meurtrier en série, qui la tue… Là-dessus, le film s’arrête.

Histoires malheureuses, voire terribles, de douleur, de jouissance et de mort. Il y a de tout : l’actrice hard, l’infirmière sur champ de guerre, le militaire qui ne marchera plus jamais, etc etc… Sur les sept personnages, pas un seul ne sort indemne (sauf peut-être le second, l’infirmière, mais elle est tellement naturelle, c’est presque le seul humain du film). La plupart sont amoureux, mais il s’agit d’un amour impossible. etc…

Un baiser passe de l’un à l’autre. Ils s’embrassent à fond, dans la bouche, mais au fond, ils ne se parlent pas. Le baiser buccal (clôture) remplace la voix (ouverture) et les précipite dans une logique mortifère. La parole est remplacée soit par le baiser, soit par le rapport sexuel – ou les deux. La jouissance de l’acte est trop proche. Il devient pervers, et même pis que pervers : homicide. Aucun de ces personnages n’a de solution. Ils ont trop baisé (aux deux sens du mot), tellement baisé qu’ils ont désappris de parler. Or le baiser (ou la baise), ça ne circule pas. Le drame est là. Au bout du compte seul le tueur en série survit (mais dans quel état!), parce qu’il est incapable d’aimer, mais aussi de baiser.

Ce film abstrait, schématique, caricatural, brutal, dépourvu de toute construction dramatique, dit peut-être la vérité : y en a marre, il faut arrêter cette escalade . Il faut mettre une limite. Comment ? Laquelle ? Dire qu’il n’y a pas d’autre limite que la mort rejoint la conclusion à laquelle, vers la fin de sa vie, Freud avait abouti. Conformément à la « ronde »1 décrite dans le film, le principe de plaisir est gouverné par le répétition. Y a-t-t-il un au-delà du principe de plaisir ? s’est demandé Freud. Eh bien non. Il n’y a pas d’autre prolongement à la contrainte de répétition que la pulsion de mort. Un siècle plus tard, la question reste ouverte. À travers ses défauts (absence totale de nuance, de psychologie, de crédibilité), le film met l’accent sur les dangers de la demande de plaisir, quand elle se transforme en devoir de plaisir, voire obligation inconditionnelle à l’addiction du plaisir. Peut-être n’a-t-on guère de raison d’être beaucoup plus optimiste que Freud en 1920.

  1. La Ronde est un film de Max Ophüls (1950), inspiré d’une pièce de théâtre de même titre d’Arthur Schnitzler, construit selon le même principe que le film de Nicolas Boukhrief. La « ronde » passe de la prostituée au soldat, du soldat à la femme de chambre, de la femme de chambre au fils de famille, de celui-ci à Emma, la dame mariée, d’Emma à Charles son mari, de Charles à la grisette Anna qui tend la main au poète, qui l’abandonne pour la comédienne qui ne résiste pas au comte, lequel, retournant s’encanailler avec la prostituée, boucle le cercle. ↩︎
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Pierre Delain

Initiateur et auteur du blog "Cinéma en déconstruction"

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