A House of Dynamite (Kathryn Bigelow, 2025)

Où l’hypercalculable basé sur le plus scientifique et procédurier des calculs aboutit à la plus radicale indécision

Tout avait été prévu dans le moindre détail pour réagir en cas d’attaque nucléaire. On devait connaître le point de départ du missile, la source, on devait pouvoir répondre immédiatement par des contre-missiles, détruire la charge nucléaire sur le chemin afin qu’elle n’atteigne pas le territoire des Etats-Unis. Mais rien n’arrive comme prévu. On n’arrive pas à savoir si le missile est parti de Corée du Nord, de Chine ou d’un sous-marin russe basé dans la région. L’interception tentée depuis Fort Greely, Alaska, « bullet hitting bullet » est un échec. Entre la première alerte, la découverte du missile, et son point d’atterrissage probable dans la ville de Chicago, il n’y a que 16 minutes. C’est la White House Situation Room qui reçoit l’information en premier, puis une base militaire secrète du Pacifique. Ils cherchent à joindre le président, le vice-président, mais ils sont inaccessibles, c’est un conseiller spécial de la Maison Blanche qui reçoit le message. Il comprend immédiatement ce qui arrive, se précipite, mais il a du mal à convaincre de l’urgence. Le président se trouve dans un stade, il discute avec une équipe féminine de basket, et brutalement on le fait revenir dans sa limousine, en compagnie d’une jeune conseiller sans expérience. Il reste moins de dix minutes pour que lui, et personne d’autre, prenne une décision. Il s’adresse à ses conseillers, qui lui donnent des réponses contradictoires. Son secrétaire à la Défense, rongé par l’inquiétude pour sa fille qui habite Chicago, n’est pas plus disert. Plutôt que de l’aider à prendre une décision, il préfère se suicider. Quoi qu’il arrive Chicago va être détruit et ses 9 millions d’habitants annihilés. Quelle est la meilleure décision ? Soit rester sans réagir et prendre le risque d’autres attaques, soit répondre tout de suite massivement et risquer une réponse encore plus violente. Les correspondants russe et chinois nient être à l’origine de l’attaque, mais on ne peut pas en être absolument sûr. Les nord-coréens ne répondent pas. En plein désarroi, le président1 téléphone à sa femme qui participe à un safari-photo en Afrique. Elle n’a rien à lui dire, et film se termine au moment où il ne prend pas de décision

L’intérêt du film réside dans le contraste entre d’une part la technologie de pointe, le suivi précis des missiles, les procédures très formalisées, les équipes efficaces, au complet, réagissant conformément aux prévisions seconde par seconde, et d’autre part le président solitaire, seul humain responsable, obligé de prendre une décision dans un délai extrêmement court, intenable. Les informations reçues sont contradictoires, les conséquences sont apocalyptiques, et il n’a rien ni personne pour l’aider. La seule vraie spécialiste se trouve à Gettysburg, assistant à une reconstitution grandeur nature de la célèbre bataille – comme si rien de neuf n’était arrivé entre 1863 et 2025. Telle est la position aujourd’hui de l’humain en général. Il dispose d’une formidable puissance de calcul et d’outils sophistiqués, mais devant un choix politique et/ou éthique, il n’a plus aucun critère sur lequel fonder sa décision. Plus sa technologie est élaborée, et plus il est vulnérable.

Dans le film quatre fois nous revivons les événements, sous quatre points de vue : le Pentagone, la base militaire, le conseiller du président, le président. À chaque fois la description de Kathryn Bigelow est extrêmement précise, dans des lieux reconstitués, avec le jargon militaire local et les authentiques acronymes. Dans les quatre lieux, des personnes intelligentes, compétentes et responsables se renvoient la balle mais ne peuvent que prendre acte, à elles quatre, de leur totale impuissance. Dépassées par les événements, elles n’ont pas d’autre choix que de serrer entre leurs doigts ou leur mémoire un objet symbolique, un fétiche de leur vie quotidienne, dire adieu à leurs proches. Dans la panique et l’urgence, redevenus des êtres charnels, souffrants, ils n’ont même pas le temps de pleurer.

  1. Interprété par Idris Elba, homme noir modeste et sincère, l’inverse du président Trump. ↩︎
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Pierre Delain

Initiateur et auteur du blog "Cinéma en déconstruction"

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