MaXXXine (Ti West, 2024)
Un avenir qui se voudrait inconnu (X), brillant, qui, sans craindre la répétition cauchemardesque de cruautés passées, pourrait ajouter autre chose, imprévisible
Ceux qui ont vu le film « X » du même auteur (Ti West, 2022), premier épisode de la trilogie dont MaXXXine est le troisième, savent que Maxine Miller, dite Maxine Minx, interprétée par Mia Goth1, est la seule rescapée d’un massacre intervenu quelques années plus tôt dans le milieu du porno. Passant du Texas rural de 1979 à la Los Angeles2 hyper-urbaine de 19853 où elle exerce comme strip-teaseuse, elle n’a jamais quitté ce milieu. À 33 ans, il est temps qu’elle vise autre chose, qu’elle mette en œuvre la maxime que, en 1959, son père, un prédicateur fondamentaliste, lui faisait répéter4 : Je n’accepterai pas une vie que je n’aurais pas méritée5. Quelle possibilité a-t-elle si ce n’est de poursuivre, ailleurs, une carrière d’actrice ? Elle se présente au casting d’un film d’horreur, The Puritan 2, (titre probablement féminin, à traduire La Puritaine 2), réalisé dans un studio d’Hollywood par Elizabeth « Liz » Bender6, suite d’un précédent film, The Puritan 1, qui avait eu beauoup de succès. Le postulat, c’est qu’elle mérite la célébrité, et qu’elle ne peut donc pas accepter une vie qui ne la rendrait pas célèbre. L’injonction paternelle est l’essence de son être inscrite dans son nom, Maxine / maxime / MaXXXine7, les x supplémentaires8 ne marquant pas la pornographie, mais l’inconnue : les circonstances à-venir, imprévisibles, qui feront advenir ce commandement, qui opère aussi comme prophétie9. La voici donc en quête de ce rôle qui va changer sa vie, mais son passé la poursuit, sans répit. On ne comprend pas tout de suite que le tueur en série qui ravage L.A. la concerne directement. Il faut aller au bout du film pour deviner qu’il est une émanation de son père qui la croit sous l’emprise du diable et s’est donné pour but de l’exorciser. Le diable, en l’occurrence, c’est le film hollywoodien décadent, le film porno, le film d’horreur qui est le moyen choisi par sa fille pour respecter l’injonction. Fallait-il, pour répondre à l’exigence paternelle, procéder autrement ? Cela était-il possible ? On n’arrive pas au sommet, la célébrité, sans quelques compromissions10, et l’on ne se compromet pas sans que certains actes reviennent sous forme de cauchemars ou de fantasmes terrorisants.
Maxine ne s’avoue jamais coupable, mais elle est épouvantée par le souvenir de ce qu’elle a traversé. Les traumas, les images d’horreur, lui reviennent à l’esprit comme souvenirs, et en plus, en outre, ils se réitèrent dans le réel : une agression par un clone de Buster Keaton sur Hollywood Boulevard11, un chantage au VHS compromettant, l’assassinat de son ami Leon Green, tenancier du video store qui jouxte son appartement, les meurtres de ses amies starlettes par le tueur en série aux gants de cuir, le Night Stalker12, la poursuite du détective privé John Labat13 payé par un mystérieux commanditaire qui tente ensuite de la tuer pour son propre compte, et aussi la psychose collective de l’ère reaganienne14 incarnée par son propre père. Son parcours aura fait oublier que la formule paternelle est ambiguë. Il s’agit pour le puritain (ou pseudo-puritain) d’un conformisme social, d’une morale pré-construite qui considère toute diversité comme satanique et s’appuie sur la violence pour éliminer les récalcitrants (dans le rituel final, tous les officiants sont armés; ils finissent par tuer les policiers). L’actrice ambitieuse n’a aucune autre morale que le plaisir de réussir, de briller, d’éblouir. Elle ne s’oppose pas aux diversités, car elle a le sentiment d’en faire elle-même partie (le porno, l’horreur) et ne voit aucun inconvénient à utiliser la violence à son profit, si nécessaire15. Le film se termine par un plan vertical où le père et la fille répètent le même mantra, avant que la fille ne fasse exploser la tête du père d’un coup de fusil16. Le début et la fin se rejoignent, mais Maxine accomplit un exploit : en massacrant son père, elle s’innocente aux yeux de la société, et c’est sa propre tête en silicone qui sera désormais adorée.
L’objectif ultime de Maxine17 étant atteint, la question est de savoir si, dans ce film, il arrive quelque chose. La jeune femme ne fait-elle qu’accomplir son destin, comme il en irait pour une tragédie grecque, ou bien change-t-elle son avenir, suscite-t-elle un événement ? C’est la question du X-Factor telle qu’elle est posée par la trilogie dans son ensemble. Aujourd’hui, les puritains conservateurs ont été remplacés par les trumpistes, ce qui ne change pas grand-chose. Le cinéma ne cesse de revenir sur lui-même, se racontant sa propre histoire, comme en témoigne l’enthousiasme de Martin Scorsese pour cette trilogie. Avec la voix du père qui surgit enfin dans le réel18, les traumatismes et les fantasmes font retour. En proclamant « Le passé n’en a pas fini avec toi, Maxine ! » le détective qui la pourchasse ne renvoie pas seulement au passé trouble de l’actrice, il renvoie à la généalogie des personnages, dans un cinéma qui multiplie les références jusqu’à l’overdose. Mais le principe de répétition auquel elle est vouée reste subordonné à la maxime : Je n’accepterai pas une vie que je n’aurais pas méritée. Au centre de cette phrase se trouve le mot vie. La vie de Maxine ne peut pas être la vie de n’importe qui. Même vautrée dans l’obscénité, l’injonction du X-Factor subsiste. Maxine n’en a pas fini, elle vient même à peine de commencer. Prête à d’autres déchaînements de violence au service d’une puissance dévastatrice, désastreuse, elle en appelle à une autre vie qui ne déborderait pas celle-là mais serait essentiellement autre, une vie qui ne se limiterait pas à l’existence mais lui procurerait encore plus que la vie.
- Mia Goth interprétait deux rôles différents dans le film X : Maxine Miller (jeune) et Pearl Douglas (âgée). On la retrouve dans le film Pearl en tant que Pearl, et dans le film MaXXXine en tant que Maxine. Petit détail : dans X, Maxine tue Pearl. Son personnage jeune se débarrasse de son personnage vieux. ↩︎
- C’est le premier film que Ti West a tourné à Los Angeles, où il vit depuis 20 ans. ↩︎
- En passant par la Pearl tout aussi rurale de 1918, le film ayant été tourné au même endroit (en Nouvelle-Zélande). ↩︎
- Dans la toute première scène du film, on la voit répéter cette maxime dans un film amateur tourné en 8 mm noir et blanc. ↩︎
- La phrase anglaise est plus ambiguë : I Will not accept a life I did not deserve, si je n’avais pas mérité cette vie-là, je ne l’accepterais pas. ↩︎
- Interprétée par Elizabeth Debicki. ↩︎
- Il y a aussi dans MaXXXine l’idée d’un maximum, d’un climax, d’un excès. ↩︎
- On ne peut s’empêcher de comparer ce X à celui du libertarien Elon Musk, dont les prises de position peuvent sembler à la fois horribles et pornographiques. ↩︎
- C’est le X-factor, défini dans le premier film comme « une circonstance, qualité ou personne dont l’influence est puissante, mais imprévisible ». La définition affirme que la lettre X désigne la cause inconnue et non pas le porno (non sans une certaine ambiguïté). ↩︎
- Citation de Bette Davis mentionnée dans le film : « Dans ce métier, tant qu’on n’est pas connu comme un monstre, on n’est pas une star ». ↩︎
- Ce clone tente de la tuer, mais ce n’est pas lui le tueur en série. On peut se demander pourquoi, dans ce film, s’en prendre au roi du burlesque. ↩︎
- Il rappelle Richard Ramirez, véritable tueur d’obédience sataniste arrêté en 1985. ↩︎
- Interprété par Kevin Bacon. ↩︎
- Ronald Reagan, pur produit hollywoodien. ↩︎
- L’actrice Mia Goth, qui a co-écrit Pearl et coproduit MaXXXine, a été elle-même accusée d’avoir agressé un autre acteur pendant le tournage de MaXXXine. Celui-ci a été licencié. Un procès est en cours. ↩︎
- Pur retour de bâton, puisque l’héroïne de The Puritan 1 a été tuée par les membres de la secte fondamentaliste du père de Maxine. La réalisateur lui accorde (à peine) une minute de silence. ↩︎
- Qui était aussi l’objectif de l’héroïne du film précédent, Pearl. ↩︎
- Dans X, elle restait enfermée dans le poste de télévision, extérieure aux protagonistes. ↩︎