Phallicisme lesbien

Il y a dans l’amour lesbien une imprégnation phallique dont il ne peut pas se dissocier

Sans doute y a-t-il différents types de complicité entre femmes. Il y a des relations sororales plus ou moins sexuelles, d’autres franchement lesbiennes – mais même ce dernier vocable ne recouvre pas toujours la même chose. Entre, par exemple, les relations où domine la bouche (La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche (2013) ou Grave, de Julia Ducournau (2016), celles où domine l’évitement comme dans La Captive, de Chantal Akerman (2022), et celles dont je vais parler maintenant, marquées par une certaine prévalence du phallique, il y a un monde. Je ne cherche pas à généraliser mais à repérer certaines situations particulièrement marquées. Le cas de Love Lies Bleeding (Rose Glass, 2023), un film de genre, comme on dit, qui s’inscrit dans une longue histoire de transgression féminine, est emblématique. Dans le couple formé par Lou et Jackie, il y a une jeune fille qui cherche à s’émanciper et une autre qui transforme son corps en caisse de résonance d’un désir qu’il faut bien qualifier de phallique. Jackie compense sa solitude par un engagement total dans une compétition de bodybuilding qui enfle son corps, le gonfle, l’agrandit démesurément grâce aux effets spéciaux. Les stéroïdes dérivés de la testostérone la transforment en masse corporelle surpuissante capable de tuer le méchant mâle d’un seul coup. Lou adore ce corps en érection, qui la débarrasse de son père. Que dire alors de l’amour lesbien ? Il transforme en puissance féministe la virilité de l’homme. Cela vaut dans d’autres relations où la puissance phallique d’une des partenaires n’est pas dissimulée. Dans Tár (Todd Field, 2022), la femme cheffe d’orchestre est incapable de dissocier sa position de pouvoir de ses attirances sexuelles. Triomphante, elle se croit reconnue par ses pairs, les institutions et les médias, mais il suffit d’une défaillance pour qu’elle ne soit plus qu’un corps, un vivant nu, vulnérable. À l’érection succède nécessaire la détumescence, avec laquelle s’effondre l’amour lesbien. Décrit dans One Night Stand (Emilie Jouvet, 2006), celui-ci n’est pas dépourvu de violence, de saisie, de possession. Pour sexualiser et instrumentaliser le corps, il faut des accessoires (crèmes, huiles, gants, jarretelles, bas troués, résilles, lanières, maquillage, oreilles ou lèvres percées, bijoux, colliers). Sans ces signes de féminité, on pourrait craindre la défaillance – voire l’impuissance. L’accouplement y est aussi un combat, une lutte, avec des arrivées liquides qui ressemblent à des éjaculations. Dans cette relation, le fantôme de la virilité n’est jamais conjuré.

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