Fantasmatiques

Le cinéma fait proliférer les fantasmes

Il existe un genre qu’on nomme film fantastique, dans lequel des objets, personnes, événements usuellement hors-monde font irruption à l’intérieur du monde. J’emploie ici un terme un peu différent, fantasmatique, qui nomme des situations où le fantastique résonne avec le fantasme. La particularité d’un fantasme, c’est qu’il ancré dans l’inconscient. Il insiste, se répète tel quel, quoiqu’il arrive, jusqu’à l’obsession. Certains fantasmes sont communs, partagés par de nombreuses personnes, par exemple les fantasmes sexuels de séduction ou de viol. Ils renvoient à des stéréotypes, des schémas sociaux ou culturels, des situations, des lieux, des comportements caractéristiques de tel ou tel moment. En les repérant au cinéma, dans un film, en les voyant incarnés, on a le sentiment de les vivre, de les réaliser. D’autres sont purement individuels, singuliers, dont rien de généralisable ne peut être dit. Ils sont vécus comme des bizarreries, des variantes de ce que chacun pourrait éprouver, des ouvertures à d’autres sensations, d’autres jouissances. On trouve dans certains films une accumulation des deux catégories (et peut-être d’autres encore) qui en fait des films-cultes. Un exemple très connu est Brazil, de Terry Gilliam (1985). Dans le contexte général d’un fantasme de pouvoir absolu tel que développé dans le 1984 de George Orwell adapté par Michael Radford en 1984, un personnage nommé Sam Lowry accomplit l’exploit étonnant de réaliser ses rêves : il croise une femme qui ressemble trait pour trait à celle de ses fantasmes (et aussi accessoirement à une figure rajeunie de sa mère), il s’extrait de son petit appartement, résiste aux autorités en place (masculines), assiste ou contribue à l’explosion des lieux de consommation et de travail, neutralise les tortures qu’on lui inflige en anéantissant la réalité pour vivre uniquement dans ses constructions mentales – et cela est réalisé dans le cadre d’un régime politique qui s’en prend systématiquement à l’inventivité et l’imagination de ses sujets. Chaque spectateur peut accomplir par l’intermédiaire du film quelques-uns de ses désirs. 

Prenons d’autre exemples : Le Règne animal de Thomas Cailley et Dream Scenario de Kristoffer Borgli. Dans ces deux films de 2023, un fantasme s’accomplit : se transformer en animal, ou bien attirer sur soi l’attention de tous. Une personne quelconque occupe soudain une place unique dans la société et en paye le prix : hostilité ou agressivité d’une foule de gens qu’elle ne connaît pas. Le rêve et la punition se réalisent simultanément. Bien que je n’aie commis aucune faute, je suis devenu un objet de haine pour une foule, voilà qui pourrait être aussi le contenu d’une fantasmatique. Il peut y avoir quelques avantages à devenir le bouc émissaire d’un monde, surgi en-dehors de toute institution, loi ou religion, selon la loi du fantasme.

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