Je sombre dans un monde qui a perdu ses fondements
— Giuliana1 : Tout est trop solide ici, trop bien organisé, trop plein, il n’y a pas un seul endroit, pas un seul petit coin où je pourrais me réfugier, trouver une place. Je n’ai pas abandonné tout de suite, j’ai essayé de trouver des solutions, par exemple cette boutique où je pourrais vendre des objets d’art, mais même ici je ne suis pas à ma place, je ne sais pas comment je pourrais la décorer, la rendre un peu chaleureuse, l’humaniser. Il faudrait que la chaleur vienne de quelque part, qu’elle arrive jusqu’à moi pour que je puisse la rendre, la diffuser, mais la source a disparu. D’autres sont éclairés, mais je reste dans l’obscurité.
— Jessie2 : Ça bouge sans arrêt autour de moi, il y a toujours du mouvement, des combats, de la violence, des morts, je fais attention à tout voir, ne rien perdre, j’attends le bon moment, le bon cadrage, et voilà, c’est le bon moment, je mets la photo en boîte, je suis sûre que c’est celle qu’il fallait prendre. Il me semble que je devrais être satisfaite, heureuse, que je devrais tout faire pour montrer cette photo, pour témoigner, mais il y a quelque chose qui ne va pas, je le garde, je n’arrive pas à m’en débarrasser, elle colle à moi. Il faudrait, pour qu’elle se détache, que j’arrive à faire sens avec, mais je n’y arrive pas. Si cette guerre n’a aucun sens, alors mes photographies non plus, et moi non plus.
— Giuliana : Quand le monde t’abandonne, tu ne peux rien faire de bon.
— Jessie : Il ne m’abandonne pas, au contraire, il me pénètre. Il s’incruste en moi.
— Giuliana : Ne te laisse pas incruster. Il y a toujours des fissures par lesquelles tu pourrais t’échapper, et alors tu reviendras à la photo.
— Jessie : Et si la photo elle-même était l’expression de ce monde ?
— Giuliana : Méfie-toi, tu risques de finir comme moi, dans le malheur d’une boucle.
Civil War (Alex Garland, 2024). Depuis toujours, Jessie Cullen rêvait d’être photo-reporter, et voici que l’occasion se présente. Elle rencontre un groupe de journalistes qui vont traverser la ligne de front qui se déroule aux USA, et elle réussit à se faire admettre, à les accompagner. ↩︎
Le désert rouge (Michelangelo Antonioni, 1964). Femme d’un ingénieur chimiste, patron de l’usine pétrochimique de Ravenne, mère d’un jeune garçon, elle ne manque de rien, ne demande rien, et pourtant semble exilée dans ce monde où elle est étrangère; ↩︎