L’An 01 (Jacques Doillon, Alain Resnais et Jean Rouch, 1972)

L’utopiste, qui veut tout prévoir, n’attend plus rien de l’avenir.

Le film narre un abandon utopique, consensuel et festif de l’économie de marché et du productivisme. La population décide d’un certain nombre de résolutions dont la première est « On arrête tout » et la deuxième « Après un temps d’arrêt total, ne seront ranimés — avec réticence — que les services et les productions dont le manque se révélera intolérable. Probablement : l’eau pour boire, l’électricité pour lire le soir, la TSF pour dire “Ce n’est pas la fin du monde, c’est l’an 01, et maintenant une page de Mécanique céleste” ». 

S’il fallait trouver un mot-clef pour qualifier ce film réalisé par trois jeunes cinéastes dont l’œuvre future, virtuelle, est exceptionnelle1, ce ne serait pas utopie, mais arrêt. « Et si un jour on arrêtait tout? Plus de travail, plus d’horaires, plus de voitures, plus de télévision. On prendrait le temps de flâner, de discuter, de chanter, de faire l’amour, de cueillir une fleur … Le temps de vivre tout simplement. Ce serait l’an 01 d’une ère nouvelle ».

Ces utopistes assez bizarres n’attendent rien de l’avenir. Ce qu’ils attendent, s’ils attendent quelque chose, ne peut venir que du présent. Aucun événement ne peut les surprendre ni changer leurs anticipations, car ils n’en ont pas. Ce qu’ils font n’est dirigé contre personne. Ils ne combattent pas le système, ils le laissent tomber. Ce n’est pas une révolution, c’est une interruption. On arrête de travailler, on arrête de voyager, on arrête de produire tout ce qui vient en trop, en plus, tout ce qui dépasse le strictement utile, on arrête de publier des journaux, d’écrire des livres, d’analyser et même de penser (il y a quelques réticents qui continuent à se poser des questions, mais c’est rare). On va encore plus loin : on arrête carrément de vivre en société. À quoi pourraient servir les associations, les mouvements politiques, la culture ? S’il arrive quelque chose qui ne colle plus au nouvel ordre des choses, si quelque chose d’hétérogène survient, on ne proteste pas, on rit. Ce nouveau monde indemne de toute pollution, qui ne connaît pas la propriété, est enfin propre. Ce n’est pas le triomphe de la lutte des classes, c’est le triomphe de la tranquillité, une tranquillité à la fois jouissive et mortifère.

Dans cet univers rousseauiste, il n’y a ni contradictions, ni opinions différentes, ni controverses, ni démocratie représentative, ni malades. Les rares vieux sont sagement assis sur des bancs. Il n’y a que des jeunes en assez bonne santé (mais pas sportifs, surtout pas). Leur univers s’arrête au corps vivant, et leurs activités sont limitées à la satisfaction des besoins : nourriture et amour.

  1. Il n’y a pas que ces trois réalisateurs, il y a aussi, dans le film : Romain Bouteille, Cabu, Henri Guybet, Jacques Higelin, Georges Wolinski; François Cavanna, Gérard Depardieu, Miou-Miou, Gérard Jugnot, Coluche, Christian Clavier, Thierry Lhermitte, Daniel Prévost, le Professeur Choron, Delfeil de Ton, Marcel Gotlib, etc… ↩︎
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Pierre Delain

Initiateur et auteur du blog "Cinéma en déconstruction"

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