Survival of Kindness (Rolf de Heer, 2023)

Dans un monde sans salut possible, sans rédemption, sans promesse, sans avenir, il n’y a pas d’extériorité, on ne peut que revenir dans sa cage

Une jeune femme qui ressemble à une aborigène mais qui, peut-être, vient d’ailleurs, une étrangère immigrée dénommée simplement BlackWoman, interprétée par une jeune femme de la République démocratique du Congo1 réfugiée en Australie, qui avant son audition n’avait jamais mis les pieds dans un cinéma2, se délivre d’une cage pour, à la fin du film, revenir (volontairement) dans la même cage. Entre ces deux moments, les étranges événements qui arrivent pourrait avoir moins d’importance que ce retour, cette circularité. Après avoir réussi à se dégager de cette prison grillagée abandonnée au milieu du désert, elle marche infatigablement, mais toujours pour se rapprocher des lieux où vivent ses tortionnaires : chemins, villages, routes, magasins, villes, usines, etc. La liberté, pour elle, ce n’est pas le désert, la vie sauvage où les rares congénères rencontrés ne marquent qu’indifférence et hostilité, la liberté, c’est d’avoir de bonnes chaussures pour pouvoir se déplacer. Quand elle se déplace, elle ne fuit pas, au contraire, elle retrouve les lieux pleins de personnages antipathiques et violents à la peau blanche, dissimulés derrière des masques à gaz3, qui l’avaient capturée. Tout cela semble illogique, bizarre. On ne comprend pas où le réalisateur veut en venir. Aurait-elle simplement rêvé cette disparition ? Serait-elle restée jusqu’à la mort dans la cage ?

Peu importe, en définitive, qui sont les hommes blancs masqués qui pourchassent les Noirs, les Aborigènes et les asiatiques, quel genre de pandémie se répand dans les villes et les campagnes (ça ressemble plus à une peste qu’à un COVID), quels sont les motifs du génocide en cours, pourquoi les gens semblent avoir perdu le langage et ne s’expriment que par gestes et onomatopées, quelle est la motivation de BlackWoman dans son périple aller-retour entre la cage et la ville. À l’abri de la pandémie qui semble menacer tout le monde (sauf elle), elle tente différents déguisements (chemise à carreau, costume d’exploratrice, assassin à masque), mais finit par revenir à sa robe initiale. Sur le chemin, elle rencontre un frère et une soeur, manifestement étrangers, qui malgré ces événements continuent à jouer au train électrique. Elle sourit alors et réussit même à échanger quelques paroles avec BrownGirl, la soeur. On soupçonne qu’elles ont pu s’entendre, se comprendre, un court moment, malgré la différence des langues. Il semble que ce moment d’amitié où les différences sont brièvement reconnues soit le seul moment humain du film; mais BrownGirl, malade, finira par mourir elle aussi.

Ce film qui fuit les genres (ni science-fiction, ni post-apocalypse, ni aventures, ni contemplation, ni road-movie, ni documentaire, ni fable, et tout cela à la fois) fuit aussi les interprétations. Partant des fourmis surgies de la terre brûlée, il revient à ces mêmes fourmis dont le labeur ne s’arrête jamais. Dans un monde entièrement voué à la cruauté, c’est une épure, une abstraction. Blackwoman revient bredouille, les mains vides, de son périple inutile. Il n’y a plus rien à tirer de ce monde, il est épuisé, perdu. On a beau chercher, on n’y trouve plus rien digne d’être combattu, et rien non plus qu’on puisse soutenir, accompagner. Blackwoman n’est même pas désespérée, simplement indifférente. À quoi bon ? Le mot kindness peut être traduit par bonté, mais dans ce monde sans rédemption possible, sans salut, sans promesse, sans avenir, même la bonté finit par s’effacer. 

  1. RDC, Congo-Kinshasa. ↩︎
  2. Son nom est Mwajemi Hussein. ↩︎
  3. Plus précisément : des masques de protection phytosanitaire (sic). ↩︎
Vues : 1

Pierre Delain

Initiateur et auteur du blog "Cinéma en déconstruction"

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