Archi-amour, pulsion de mort

Il faut se retirer devant l’archi-amour, en passer par une mort, la peine de mort ou la pulsion de mort

C’est une contrainte de structure qui transparait dans la littérature et le cinéma, mais n’apparaît que rarement, voire jamais, comme telle. On la trouve dans une nouvelle d’Henry James, La Bête dans la Jungle, et dans ses déclinaisons, et aussi, par exemple, dans les dernières œuvres de Heinrich von Kleist, conclues par son suicide avec Henriette Vogel, le 21 novembre 1811. On peut, pour l’appréhender, partir du film de Jessica Hausner, L’Amour fou (2014). Henriette et Heinrich se sont suicidés ensemble, en proclamant la singularité de leur amour qui se distingue du sentiment courant, quotidien, qu’il soit passionnel ou conjugal. Il s’agit d’un autre genre d’amour où les compromis de la vie, les obligations, les calculs, les arrangements y compris les plaisirs, s’effacent : un amour sans alibi ni justification, sans condition, venu de très loin, d’en-deçà des contraintes de la vie sociale. Cet amour fait irruption comme une joie, et aussi une catastrophe. Mettant fin à tous les devoirs, les engagements, s’acquittant de toutes les dettes, il aspire au repos éternel. Henriette y est arrivée par la maladie, mais pour Heinrich von Kleist, c’est l’aboutissement d’un long cheminement dont on trouve les traces dans ses derniers ouvrages. Dans La petite Catherine de Heilbronn, la jeune fille doit approcher trois fois la mort pour susciter, dans sa pureté, l’amour du comte de Strahl. Dans La Marquise d’O, le comte F. s’humilie, puis est grièvement blessé avant d’être adoubé par la marquise. Dans Le Prince de Hombourg, le prince est condamné à mort avant d’être invité, par surprise, au mariage. Certes, chaque fois, les personnages survivent. Pour satisfaire aux contraintes scéniques de l’époque, il fallait une fin heureuse, un happy end. Mais chaque fois la mort hante l’amour, elle l’habite. Comme dans La Bête de Bertrand Bonello (2024), l’autre amour reste indissociable de la pulsion de mort.

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