Le cycle infini de la dette

Par la culpabilité, la faute, la vengeance ou le châtiment, on ne s’extrait jamais du cycle de la dette

Héritiers d’une langue, d’une civilisation, d’un corps, d’un mode de vie, de savoirs, de technologies, etc., nous naissons endettés. De très nombreux films (peut-être tous) ont trait aux conséquences de cet endettement : acquiescement, fidélité, transmission, rupture, révolte, vengeance, etc. Qu’on l’accepte ou qu’on s’y oppose, il est difficile d’en sortir. On peut le vivre comme une obligation, une contrainte, le considérer comme un choix ou une liberté, s’y mouvoir avec facilité ou souffrance, mais l’enchaînement insiste, c’est un continuum, un cycle, un destin, voire une tragédie. Il arrive qu’on en sorte, mais on peut multiplier les exemples où on n’en sort pas. Dans Dancer in the Dark (Lars von Trier, 2000), l’héroïne subit les conséquences d’un héritage génétique transmis à son propre fils. Elle pourrait se révolter devant cette injustice, mais elle l’assume. Se sentant coupable d’avoir eu cet enfant, elle rêverait de l’extraire du cycle, y compris au prix de sa propre mort – mais ça ne marche pas, c’est impossible, l’enfant restera son enfant, affecté par la même maladie. On retrouve une logique comparable dans Conann (Bertrand Mandico, 2023), où l’accumulation des fautes, sur une ou plusieurs vies, ne cesse d’ajouter au service de la dette, jusqu’à la déflagration finale. Tous les héritiers meurent sauf un, dont on devine qu’il prolongera le cycle. La liste des films où une telle contrainte s’impose est infinie. Voici, au hasard : Le secret de la chambre noire (Kiyoshi Kurosawa, 2016), où les victimes d’un photographe se transforment en Erynies vengeresses, Parasite (Bong Joon-Ho, 2019), où le parasitage n’est qu’une ruse où des pauvres finissent par remplacer les riches sans que jamais aucun dérivation, aucune rédemption ne puisse advenir, Dream Scenario (Kristoffer Borgli, 2023), où un innocent, à la place de tous et de n’importe qui, est voué à une mort sociale inéluctable, L’ami américain (Wim Wenders, 1977), ou le brave homme est pris dans une histoire de gangsters qu’il finit par assumer, etc. On pourrait dire que le cinéma en général n’est qu’une longue litanie de culpabilités à transmettre, de dettes à rembourser, d’erreurs à corriger ou d’emprunts à recouvrer, un souci de compensation au fondement de bien des idéologies, des religions ou des éthiques (mais pas toutes). Ce mouvement de rééquilibrage perpétuel perpétuellement en échec ne fait, après tout, que refléter le fonctionnement courant du cycle vital.

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