La Coquille et le Clergyman (Germaine Dulac, 1928)

Il n’y a rien à attendre de la différence des sexes.

En 1927, année de réalisation du premier film parlant, Le Chanteur de jazz, Antonin Artaud écrit un scénario, La Coquille et le Clergyman. C’est une histoire d’angoisse, d’instabilité et d’amour impossible. A l’initiative du couple Allendy, Germaine Dulac est choisie pour la réalisation. Il était prévu qu’Artaud lui-même joue le rôle principal (le clergyman), mais comme il est pris par le tournage du Napoléon d’Abel Gance, il est remplacé par Alex Allin. Artaud par Dulac, Artaud par Allin, le général par le clergyman, rien ne semble pouvoir arrêter le tourniquet qui fait basculer d’un rôle à un autre, d’une image à une autre. Ce premier film surréaliste de l’histoire du cinéma déclenche un mémorable chahut lors de la première au studio des Ursulines (février 1928), en présence de Breton, d’Aragon et d’une foule de célébrités. Qu’est-ce qui est reproché à qui? Ce n’est pas non plus très clair. Artaud se plaint d’avoir été écarté du film, certains surréalistes le soutiennent mais peut-être pas tous, il y a les pro-Dulac (plutôt féministes) et les anti-Dulac (toutes catégories). Quant à Artaud lui-même, c’est son film et ce n’est pas son film, c’est son œuvre et ce n’est pas son œuvre. Il le défend tout en le critiquant. D’un film aussi obscur (confus disent ses détracteurs), il ne faut pas attendre beaucoup de clarté.
Un petit brin de psychologie quand même (ce que Artaud nous reprocherait amèrement). On peut prendre la coquille pour un symbole féminin – ce qui serait confirmé par la célèbre scène où deux coquilles remplacent les seins de la femme. Le clergyman passerait alors pour un homme quelque peu frustré, voire culpabilisé, en recherche d’une Femme qui lui échappe dès qu’il s’en approche. On pense à Buster Keaton ou Charlie Chaplin, à peu près contemporains, qu’Artaud lui-même cite dans son introduction au scénario qu’il a intitulée Cinéma et réalité, et qu’il a publiée précipitamment, comme pour s’assurer de la propriété d’un film sur lequel il n’a pas eu de contrôle. Alors que la Femme et le Général ne sont qu’une addition de stéréotypes, le clergyman ressemble vraiment à un être humain. A la fin, le symbole féminin se dissout entre ses lèvres. Phrase finale du scénario signé par Artaud : « La tête repose sur une coquille d’huître. Comme il approche la coquille de ses lèvres la tête se fond et se transforme en une sorte de liquide noirâtre qu’il absorbe en fermant les yeux ».
Mais ce serait trop simple. Le film ne se borne pas à l’impuissance du clergyman. Si rien ne vient récompenser l’élimination du général, c’est parce qu’il n’y a pas de récompense possible.

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Pierre Delain

Initiateur et auteur du blog "Cinéma en déconstruction"

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