Good Will Hunting (Gus Van Sant, 1997)

 « Il faut œuvrer », à condition que l’orientation choisie reste suspendue à l’indécision »

Résumé

Will (20 ans) est surdoué et orphelin. Il vit dans une maison ancienne délabrée de South Boston. Pour fuir son passé et une réalité morose, il se réfugie dans les livres de mathématiques, physique, chimie ou médecine. Il se reconnaît dans ses auteurs préférés : Nietzsche, Shakespeare, Pope, Locke. Mais il a parallèlement une énergie en lui qui le déborde. Il aime se battre, voir du baseball à la télé et boire des bières avec ses amis d’enfance, Chuckie, Morgan et Billy. Abandonné toute sa vie, rebuté par l’intégration sociale, il est très susceptible, et perçoit comme un affront la moindre remarque à son égard. Il est asocial, rejette les autres, et les autres le laissent tomber. Il travaille au MIT1 en tant que balayeur. Un professeur, Gerald Lambeau, le remarque un jour où il démontre anonymement pendant son service deux théorèmes de mathématiques d’une grande difficulté.

Après une bagarre où il frappe un policier, Will risque la prison. Le juge accepte qu’il travaille pour le professeur de mathématiques à condition qu’il soit suivi par un psychologue. Après une longue série de visites chez des psychologues, Il finit par se trouver face à un adversaire à sa taille, Sean Maguire, ancien camarade d’études du professeur Lambeau. Un bras de fer commence. Sean Maguire instaure une relation de confiance en lui parlant de son intimité, de sa femme décédée d’un cancer, d’un match de base ball 2. Parallèlement, Will découvre l’amour avec Skylar, une étudiante à Harvard qu’il impressionne lors d’un débat dans un bar. Comparé à un autre génie, Srinivasa Ramanujan, par le professeur Lambeau, on lui propose de nombreux postes, dont un avec la NSA. Il les refuse tous. Sean et Lambeau ont une violente altercation sous les yeux de Will, qui rompt avec Skylar quand elle lui demande de partir en Californie avec elle. Sean le met face à ses responsabilités en l’accusant de saboter sa vie pour éviter toute prise de risque. Chuck, de son côté, confie à Will qu’il ressentirait comme une insulte qu’il continue à perdre son temps avec lui et ses autres amis au vu de ses géniales possibilités. Sean Maguire se réconcilie avec Lambeau et décide de voyager à travers le monde tandis que Will part rejoindre Skylar, partie étudier en Californie, avec la vieille voiture bricolée par ses trois amis, cadeau d’anniversaire pour ses 21 ans.

Analyse

On peut prendre ce film pour une fabrication hollywoodienne conforme à toutes les normes du genre, de la première à la dernière image : une histoire de surdoué orphelin, un mélo à faire pleurer (un peu, et avec une certaine dose de bonne volonté), un récit rassurant et convenable. À la fin, Will Hunting3 l’orphelin trouve un substitut de père et en plus, il va rejoindre une jolie fille riche, avant que le dernier mot du film ne se présente sous la forme du rituel plan routier de Gus Van Sant. Tout cela paraît bien conventionnel, mais cela n’empêche pas qu’on puisse en tirer quelques enseignements. 

Le professeur Lambeau (4) pousse Will à réaliser quelque chose, en un mot à œuvrer. Un garçon génial comme lui ne peut pas faire autre chose, dit-il. Mais qu’est-ce qu’œuvrer ? L’enjeu n’est pas exactement le même pour le mathématicien professionnel et pour Will Hunting. Pour le professeur, il y a, par essence, de l’œuvrance dans la pratique des mathématiques. S’y intéresser, c’est le plus important, le plus essentiel. Mais Will n’a pas encore choisi. Œuvrer, ce sera quoi pour lui? Son père de substitution, le psychologue Sean Maguire, originaire comme lui d’une banlieue pauvre, le laisse libre de choisir. S’il lui imposait une façon de faire, alors ce ne serait plus son œuvre à lui, ce serait la sienne. Il ne s’agit pas seulement de choix, de question pratique, mais d’éthique. Will temporise, il ne veut pas fermer l’avenir, il ne prend pas de décision. Rester dans l’indécision, à ce stade, c’est tout ce qu’il peut faire, c’est ainsi qu’il peut avoir du respect pour ce qui reste inconnu en lui, indéterminé. C’est cette indécision que le professeur ne supporte pas. Pour Will, accepter les suggestions du professeur serait nier la possibilité même du choix, ce serait de l’obéissance, de la mécanique. N’est-il pas évident que le surdoué doit produire ce pourquoi il a du génie ? Mais le génie, justement, c’est ce qui déborde et dépasse ce genre de contrainte. En l’enfermant dans la posture d’un génie des mathématiques, le professeur risque de réduire à néant ce qui, justement, est génial en lui. La structure du film est classique, mais il laisse opérer en son sein les apories du génie, de la décision et de l’œuvre. Ceci étant, il faut qu’Hollywood impose tout de même ses contraintes : s’il résiste au plan de carrière proposé par ses amis, il ne résiste pas à l’amour.

  1. Massachusetts Institute of Technology. ↩︎
  2. Il l’avait rencontrée le soir du match des Red Sox de Boston lors de la finale de baseball du championnat de Série mondiale (World Series). ↩︎
  3. On pourrait traduire ce nom par : « La chasse au vouloir » ↩︎
  4. Du point de vue francophone, c’est un curieux choix de nom propre. De quel lambeau s’agit-il ? ↩︎
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Pierre Delain

Initiateur et auteur du blog "Cinéma en déconstruction"

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