One night stand (Emilie Jouvet, 2006)

Les deux mots hymen et lesbienne riment, ils s’aiment

Réclame : ONE NIGHT STAND est un champ d’exploration et d’expérimentation, un terrain de jeux multiple, un espace d’expression. Une aventure qui met à nu des corps lesbiens , queers et transgenres. Un banquet qui vous laissera un délicieux goût dans la bouche. Primé à Berlin, Amsterdam et Copenhague. En tous cas c’est une suite de scènes sexuelles entre femmes, scènes vigoureuses, engagées, directes. Peut-on parler de scènes d’amour ? Ce n’est pas sûr. Le sous-titre français « Pour une nuit » tend à montrer qu’il ne s’agit pas de couples réguliers, mais de rencontres ponctuelles. Chaque scène est un moment de tension, de découverte. 

Que font les lesbiennes? Se demandent parfois certaines personnes de sexe masculin (mais pas seulement). Pour voir et pour entendre ce qu’il en est, appuyons-nous sur des films de lesbiennes, par exemple celui-ci. Les corps se frôlent, se touchent, se caressent, d’une façon finalement pas si différente de ce que ferait un homme – avec moins d’inhibition peut-être, moins de crainte d’humilier ou d’abîmer l’autre, plus d’égalité, moins d’écart de puissance. Il y a de la violence, de la saisie, de la possession, de la domination, y compris par pénétration vaginale, que celle-ci se fasse par poing, dildo ou autre instrument. Le passif et l’actif sont moins contrastés. Elles ne se donnent pas, elles s’offrent, sans se perdre. Les doigts sont rarement suffisants pour conduire à une forme ou une autre d’orgasme. Il faut des accessoires qui contribuent à sexualiser et instrumentaliser le corps (crèmes, huiles, gants, jarretelles, bas troués, résilles, lanières, maquillage, oreilles ou lèvres percées). Les corps ne sont pas complètement nus, ils faut garder quelques bijoux (bracelet, collier, boucle d’oreille). Sans ces signes de féminité on pourrait peut-être craindre, ici aussi, la défaillance – voire l’impuissance. Le toucher-toucher est rarement symétrique (il y a du chacun son tour, mais pas de simultanéité). On recherche méthodiquement les lieux qu’on connaît (clitoris). On explore la peau en privilégiant les parties génitales, la bouche, les lèvres, on lèche et on mord les seins, on se frappe aussi, selon des modalités qui après tout n’ignorent pas la loi du sexe. L’accouplement est aussi un combat. Elles demandent, elles exigent. Il y a de l’essoufflement, du gémissement (apparemment sincère, malgré la présence de la caméra). On recherche les arrivées liquides, là où ça mouille, et ça ressemble à une éjaculation. Il peut arriver qu’il y ait des gestes d’amitié, de connivence, mais peu de tendresse (en tous cas visible). Elles se portent, se soutiennent, se croisent, s’agrippent, se mélangent. Il faut qu’elles se collent l’une à l’autre, mais pas trop. 

Tout se passe comme si le fantôme de la virilité devait participer à l’acte sans sortir du cadre qui lui est imparti. Elles cherchent à explorer les possibilités de leurs corps, aussi loin qu’elles le peuvent, jusqu’à frôler la perte de contrôle – sans toutefois la franchir. Elles jouent sur l’ambiguïté, les limites entre individus, entre sexes et aussi entre genres. La lesbienne aguiche l’hymen, elle le taquine, le titille voire plus : le lèche, l’indispose, l’excite ou l’irrite. Mais elle recule devant ce qui fait, selon Jacques Derrida, la loi de l’hymen : sa propre déchirure. L’ambiguïté du rapport lesbien, c’est qu’il s’effectue, comme toute sexualité, sous la domination du principe de plaisir. En ce point l’accord avec Freud est complet : le seul but légitime de la relation lesbienne, c’est le plaisir. L’auto-affection ne peut devenir hétéro-affection qu’à la condition qu’elle garantisse un retour sur soi. On ne se lâche pas dans la scène lesbienne, on maîtrise ses gestes, et même le déplaisir reste au service de cette maîtrise. Même pour ceux qui n’ont jamais lu Paul B. Preciado, l’hyper-féminisme rejoint une certaine modalité spectrale du phallique. À part les trans, il ne faut pas d’homme, mais ce retrait du masculin n’est pas une absence, c’est une invocation d’un phallique pur, un phallique que le male gaze ne viendrait pas polluer.

L’hymen lesbien tel qu’il est présenté dans le film risque la pénétration, mais surtout pas la défloration. S’il y a déchirure, il ne faut pas qu’elle vienne de cet autre, pourtant partout présent par les accessoires, les mouvements, les rythmes. L’hymen est à la fois union dans le mariage et déchirement dans la défloration. Le sens du mot est double : il implique un seuil à franchir par un acte violent, du sang qui coule, et aussi l’apaisement d’un chant. L’acte de séparation est indissolublement lié à l’acte de réparation. Il y a faute (le déchirement), mais on anticipe, on s’excuse de la faute avant même de la commettre. On retrouve cette simultanéité dans l’amour lesbien. Il faut entretenir la tension nécessaire aux jeux érotiques (les accessoires, les simulacres), et il faut en même temps préserver le propre, la propriété. Il faut faire comme si la défloration (voire le viol) étaient accomplis, sans les accomplir. La lesbienne, dont on dit qu’elle se protège de l’altérité, se protège surtout de la dissémination.

L’amour lesbien n’est pas purement féminin. Il entretient l’incertitude, l’ambiguïté, l’indécidabilité entre les sexes. Ce sont des femmes qui ne jouent pas (pas seulement) le rôle de femmes, des êtres qui désirent à la façon des hommes, comme eux, pour le plaisir de s’en passer, des personnes qui transforment un simulacre de coït ou de viol en un jeu sans danger.

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Pierre Delain

Initiateur et auteur du blog "Cinéma en déconstruction"

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