Hospitalité (Kôji Fukada, 2010)

Une expérience d’hospitalité, même forcée, ça peut conforter le chez soi, faire du bien

Mikio Kobayashi, propriétaire d’une boutique de reprographie dans un coin tranquille de Tokyo, est marié avec Natsuki, une jeune femme qui n’a accepté de vivre avec lui que par intérêt. Contrairement à ce qu’il dit, sa première femme n’est pas décédée mais l’a quitté en lui laissant la charge d’Eriko, leur petite fille – dont Natsuki est supposée s’occuper. Seiko, sa sœur divorcée, qui enseigne un mauvais anglais, meurt d’envie de partir à l’étranger. L’histoire commence quand la perruche de la famille s’échappe de sa cage. Pour faire plaisir à la petite fille, on placarde des avis de recherche dans la rue. C’est alors qu’un certain Hanataro Hanataro se présente, fils (dit-il) d’un ami de son défunt père. Il n’a aucune information sur la perruche, mais il réussit par ruse à se faire embaucher comme employé et à se rendre indispensable. Il impose peu à peu ses règles et fait venir dans ce monde clos, étroit1, Annabelle, sa femme brésilienne (ou bosniaque, ce n’est pas clair) professeur de salsa, qui parle un japonais approximatif, danse plutôt bien et ne respecte aucun des codes de bienséance de la société locale. C’est alors que surgissent les secrets plus ou moins enfouis de chacun des membres de la famille. Frustré par le mariage blanc qui l’unit à sa jeune épouse, Mikio doit assister aux ébats sexuels bruyants du couple qui s’est invité chez lui, et finit par succomber aux provocations d’Annabelle. Natsuki, supposée gérer les comptes de l’entreprise familiale, vole dans la caisse pour soutenir son bandit de frère. C’est l’occasion pour Hanataro de faire un peu de chantage. En contrepartie des paiement par Natsuki, il oblige le frère à travailler2. En contrepartie de l’adultère de Mikio, il faut embaucher le frère. En contrepartie du silence sur les turpitudes des uns et des autres, il oblige le couple Kobayashi à recevoir ses amis.

À partir de là le film bascule. Hanataro invite une foule d’amis et de relations diverses qu’il présente comme la famille d’Annabelle : des Noirs, des Blancs, des grands, des petits, des asiatiques, des européens, etc. Dans un quartier où la population locale est obsédée par les menaces extérieures : les étrangers3, les pauvres, les asociaux et les sans-abri4, ils n’ont qu’un point commun : une situation irrégulière. Ces gens qui d’ordinaire sont rejetés par les Japonais envahissent le magasin, occupent les chambres jusqu’au dernier centimètre carré. Mikio leur demande de partir pour l’anniversaire de Natsuki, mais ils font le contraire : bruyamment, ils organisent une fête, un repas en commun, ils dansent et font danser le couple – ce qui ne lui était pas arrivé depuis longtemps, peut-être jamais – entraînent tout le monde dans une chenille qui fait le tour de la rue. Sous le regard des voisins, c’est un moment de joie intense, un moment d’unité où toutes les couleurs, toutes les langues se croisent5. Dans cette ambiance, Natsuki avoue à Mikio qu’elle l’a trompé. Elle a couché avec un autre homme. C’est le moment de la GIFLE : ils se giflent l’un l’autre, ce qui entraîne un moment de SILENCE dans l’assemblée. Mikio et Natsuki se regardent longuement dans le yeux (encore une première fois peut-être), Annabelle chante, jusqu’au moment où la police arrive et demande les papiers des participants. Tout le monde s’enfuit dans un vaste chaos – notamment Hanataro et Annabelle, dans un éclat de rire.

Qu’est-ce que ce basculement ? Un événement a transformé le surgissement dangereux, inattendu, des étrangers, en bénédiction. Il a forcé à rebattre les cartes. Les étrangers sont partis, mais une rencontre a eu lieu : entre Mikio et Natsuki. Cela ne change rien à leur mariage qui reste blanc, mais cela change tout à leur relation. Avec l’échange de gifles, le mensonge réciproque a été évacué. Le système de contreparties instauré par Hanataro a muté d’un seul coup, par annulation des fautes et des incompréhensions. S’adressant aux voisins, Mikio s’excuse (à la japonaise), mais précise qu’il ne veut pas de rumeurs, pas de médisance. Il a compris que l’hospitalité forcée pouvait soigner, et même guérir. Natsuki est revenue, elle a remplacé la perruche perdu par une nouvelle. C’est le don de Hanataro et de ses amis, la garantie que la bénédiction ne se transformerait pas à nouveau en malédiction. La petite Eriko, endormie, la trouvera à son réveil. 

  1. Les pièces sont minuscules, l’imprimerie donne directement sur le salon, sans aucune ouverture, les fenêtres opaques n’offrent aucune perspective sur l’extérieur, et même le balcon ne donne que sur une petite ruelle sombre. ↩︎
  2. Qui disparaît du film : on n’entendra plus parler de lui dans la suite. ↩︎
  3. En japonais Gaikokujin (外国人, « personne d’un pays extérieur ») ou simplement gaijin (外人, litt. « personne de l’extérieur »). ↩︎
  4. Les femmes du quartier ont l’habitude de faire des rondes, qui semble plus destinées à surveiller les habitants que les étrangers. ↩︎
  5. Un moment de purification aussi, comme le montrent les nombreuses séquences, dans le film, où des personnages se lavent les dents. ↩︎
Vues : 3

Pierre Delain

Initiateur et auteur du blog "Cinéma en déconstruction"

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