Blue Velvet (David Lynch, 1986)
Je rêve d’un autre amour caché, secret, mystérieux, dont mon oreille, séparée de mon corps, pourrait entendre le chant inquiétant, dangereux
Je rêve d’un autre amour caché, secret, mystérieux, dont mon oreille, séparée de mon corps, pourrait entendre le chant inquiétant, dangereux
Dans un monde déréglé, sans lien social ni valeurs, on ne peut s’appuyer que sur une famille étroite, et des corps quasi morts
Je porte en moi ma mère, ma patrie, elles m’étouffent, trop lourdes pour que je tienne sous leur poids, je les chasse
L’adage : « Quand un vivant disparaît, un monde disparaît avec lui » – pris aussi littéralement que possible
Avec le dérèglement climatique, ce sont tous les liens sociaux, humains et affectifs qui se dérèglent
Un film déréglé, qui renvoie péniblement au pire dérèglement, celui du monde
Une présence obscure, enfouie, aura incrusté entre le père et la fille un archi-lien, une quasi-télépathie
Une amitié suspendue à la ligne fragile qui sépare la vie de la mort – ne peut pas durer
Pour continuer à vivre, il faut renoncer à poser la question : « Pourquoi ? »
On peut faire couple ou se marier par calcul, transaction, voire sentiment amoureux – mais alors dans le même mouvement on s’expose à l’incalculable
Un film ni pire ni plus pénible à voir que ce qu’il représente : le retour du chaos, sans autre perspective que le chaos lui-même
Un amour irraisonné, surgi inopinément, c’est un danger, une perte de contrôle qui peut être mortelle
L’amour inconditionnel, ce n’est pas le début d’une histoire à venir, c’est la fin d’une histoire où rien n’est arrivé
Rien ne peut empêcher la réitération, à chaque génération, du même cycle d’amours dont la trace subsiste, inconditionnellement
Il n’y a pas de justice en amour
Le système de l’Internet forclot la douleur, et aussi la singularité, l’intimité, l’insu, l’inconscient, etc.
Dans un système qui tend au totalitarisme, une défaillance qui bouleverse les places et les fonctions est toujours possible – mais nul n’en connaît à l’avance le résultat
Le rejet de toutes les valeurs par un personnage obscène, inqualifiable, fait advenir un amour irrésistible, injustifiable, intenable, qui ne trouve de réciprocité que dans la mort
Ethique du voyou : « On ne peut vivre et rester honnête » Le film de Pabst commence par un double « principe absolu » (c’est le terme utilisé) : 1/ « D’abord la pitance, le...
Un monde dans lequel le regard, « male gaze » ou « female gaze », s’atrophie au profit d’un non-regard, le « cam gaze »
Anticipation d’un film dont la toute dernière partie reste à venir
Nous sommes affectés par une culpabilité originelle, irréparable, qui ne peut être ni compensée, ni sanctionnée
Dans un monde sans enjeu ni avenir, il ne reste que des références, des compulsions, des poussées de fantasme, des traces de désir dont le sens se dérobe
De ce monde inexplicable, insensé, où il faut bien vivre, on ne peut témoigner qu’en silence
Testament de Clouzot : Il appartient à tout cinéaste digne de ce nom d’honorer un statut d’exception : le droit de se soumettre à sa guise, sans loi ni limite, les acteurs, personnages et autres items d’un film
Axiome de Clouzot : « Ayant un droit d’emprise sur tous les éléments d’un film (personnes et choses), j’ai aussi le droit souverain, inaliénable, de le·s mettre à mort »
Un appel sans source, ni origine, ni signification, ni cause, ni enjeu – ne peut conduire qu’à la destruction : de soi et de l’autre
Pour ouvrir une autre éthique, il faut pleurer, implorer
À l’amour inconditionnel, rien n’est comparable ni équivalent
Un deuil de soi ambigu, qui rend la singularité possible
L’essentiel n’est pas l’identité, mais les minces différences qui font de mon double un·e autre, un supplément dont je suis inséparable
Il n’y a pas de fraternité sans bénédiction : porter l’autre vers un avenir inconnu
Chacun, solitaire face à l’Internet, peut se transformer en fantôme de l’autre côté de l’écran et disparaître de ce monde-ci (sauf exception)
Derrière les fluctuations de la valeur monétaire des objets, se cachent des vies concrètes, des corps affectés, des espoirs brisés
Des plus brutaux acteurs de l’histoire, on ne retient que l’impardonnable
Un brouillage des limites qui transgresse la mise en abyme elle-même
Démocratie aporétique : un peuple absent, des décideurs qui ne décident de rien, l’effacement du politique
Au-delà de son intérêt, le tueur souverain érige sa propre loi, une obligation quasi-morale, inconditionnelle, à laquelle il ne peut contrevenir
Contourner le deuil en ne retenant de la mort que sa matérialité (pourriture, décomposition)
Un dibbouk qui fait de l’incertitude un principe de vie, une obligation éthique, métaphysique, un pas au-delà du monde
En exigeant une justice impossible à instaurer, le dibbouk interdit l’oubli
Celui dont l’avenir aura été déterminé avant la naissance n’aura pas d’avenir, il ne vivra pas
Incapable de traverser jusqu’au bout les épreuves, la justice incarnée par l’innocence ne peut que mourir assassinée
Sur le chemin d’une foi qui ne repose sur rien d’autre que la foi – un « rien » suffisant pour fonder la croyance, la crédibilité
Le monde qui s’en est allé nous laisse sans orientation : tu n’as pas de chemin pour moi, je n’ai pas de chemin pour toi, mais si tu me suis, nous irons au-delà
S’il y avait une langue universelle, elle serait en même temps étrangère et ma langue, générale et locale : ce serait une langue impossible, aporétique
Inexplicable, instable, inclassable, insaisissable, le jeune meurtrier incarne le déséquilibre d’où pourrait surgir une réponse, une nouvelle donne
Ayant vécu « ma vie » sous le signe de la gratuité, « ma mort » arrive quand à cette place s’impose l’échange, la circulation du sang
Il faut, pour cheminer vers le deuil, le soutien d’une addiction, d’une substance pharmacologique
Trop d’affect, de spontanéité, de tension amoureuse, une femme trop différente, c’est pour la société, la famille, une déconstruction, une agression insupportable
Un dernier désir au-delà de tout désir : mourir vivant
En-deçà de l’amour surgit la violence primordiale, inexplicable, de l’archi-amour
Le conditionnement au racisme est irréversible, c’est un crime que rien ne peut réparer ni compenser
Pour effacer les dettes à l’égard d’autrui, il aura fallu que s’instaure une relation toute autre avec les vivants, les animaux, les personnes
Une menace extérieure anonyme, impersonnelle, inexpliquée, exige un sacrifice pur, inconditionnel, sans réserve
Comment ne pas trouver son chemin, dans le temps retardé du retour spectral et de la désagrégation du temps
Un monde en suspens dans un voyage où s’effritent le social, l’autorité, ouvrant la voie à d’autres valeurs, au-delà du deuil
Evider un monde pour porter, sans que rien ne l’entrave, le commencement d’une parole
Un Jésus vivant, qui ne cède en rien au sacrifice
Une fable aporétique où la mort du souverain ouvre la possibilité d’une hybridité à venir
Témoigner de la présence d’un peuple par un semblant d’archive
Il faut, pour aller vers sa propre destination, la violence de l’autre
D’une voix perdue, absente, on ne peut faire émerger qu’une archi-présence pour toujours enclose, inaccessible, encryptée
Pour sauver la ville de la mort, il faut renoncer à l’amour conjugal pour une autre alliance, mystérieuse, un autre réseau d’allégeance
Le rêve du réalisateur : une caméra qui, se faisant passer pour un spectre, possède la faculté d’intervenir sur ce qu’elle filme
Tomber sous emprise est une malédiction dont on ne peut s’extraire qu’en y sacrifiant ce qui, au fond de soi, y adhérait
Je n’ai rien d’autre à transmettre que ma singularité, ma personnalité, en tant qu’elle est unique, insubstituable
Quand le pouvoir souverain, obscur, de la féminité, met en jeu la peine de mort pour s’approprier la puissance phallique
La simple présence d’une personne étrangère, sans raison ni justification, peut arracher quelqu’un à sa vie quotidienne, traduire ses pensées dans une autre langue
La mise en scène d’une histoire diffractée, disséminée, inépuisable, enfouit dans l’obscurité la folie incestueuse des personnages
En l’absence de preuve, il faut un témoignage – fût-ce d’un enfant – pour décider, mais le jugement véritable, s’il en est, pourrait venir d’ailleurs
Témoigner par le cinéma de la faculté du cinéma à témoigner du réel
La mafia fait peser sur ses membres une dette illimitée, qu’elle compense par la promesse d’une jouissance gratuite, sans limite
Pour mourir dans la dignité, il faut mourir vivant
Le jour des premières règles est celui où une bénédiction doit venir, pour protéger, accompagner et aussi prendre son envol
Purifier la violence primordiale par la beauté des corps souffrants, réparer par un amour quasi-religieux un massacre abominable
L’identité de celui dont l’identité est de ne pas en avoir est aussi une identité, celle qui oblige à vivre dans l’aporie
Pour restaurer le mariage légitime, contractuel, voulu par les pères, il faut en passer par le sortilège d’une autre amour disruptif, envoûtant, déstabilisateur
Une pure éthique singulière, inconditionnelle, d’une absolue simplicité, ne peut pas se mesurer à l’injustice
Il aura fallu un cadre unique, fixe, stable, pour faire du domicile le lieu où s’incarne la phrase : « Il n’y a pas de chez soi »
Dans un monde flottant, réduit à des vestiges, il n’y a pas de finalité à l’errance
Faute d’avoir été digne d’amour, je voudrais être digne de la vérité, mais celle-ci m’échappe, il ne me reste que la prière
Faire son deuil en préservant, malgré tout, un lieu où la trace du mort peut s’inscrire
Nouveau christianisme : on peut accéder à la rédemption en donnant du plaisir
Je ne peux prétendre qu’en vérité, « Je suis mort », qu’en prenant l’identité d’un vivant assez crédible pour dire : « il est mort », mais alors ce « il », ce doit être aussi moi
Seule la femme du dehors est digne d’alliance, mais jamais elle n’est disponible : elle éblouit, se dérobe et disparait
Pour pallier l’épuisement du « chez soi », on multiplie les ornements, les plats, les cadeaux et les chansons nostalgiques, mais ça ne marche pas, on n’est plus nulle part
Où la passion du toucher rejoint la passion d’emprise, fantasmatique ou défensive
Une culture passéiste, réduite à sa rhétorique, ne résiste pas à sa désintégration
Il faut, pour s’autoriser un amour d’un autre type (inconditionnel), se détacher de tout engagement, se décharger de toute dette
Quand le secret de l’amour est enfoui, définitivement inaccessible, il n’y a plus d’horizon, il ne reste que la confusion des plaisirs
Dans les bordures et les parerga démultipliés de l’amour, une jouissance singulière, incomparable, rencontre une tristesse sans appel
Fuir par le voyage ouvre sur une extériorité factice : parodie du tourisme filmé, circularité, plaisir du pastiche, répétition de soi qui mène à l’effacement
Déjà mort, faisant le deuil de lui-même, il peut transgresser les interdits, effacer les dettes et les engagements, désirer sans condition un amour impossible
On ne peut valoriser « ce que je suis », la fiction identitaire du soi-même, que par une mystique de la reconnaissance de soi par autrui
Il faut filmer, sans vergogne, au-delà de la honte et du mépris, au-delà de toute autre relation d’amour ou de conjugalité