Auteur : Pierre Delain
Le Salaire de la Peur (Henri-Georges Clouzot, 1953), Sorcerer (William Friedkin, 1977)
Pour qui est déjà mort (socialement, humainement), il n’y a pas de retour possible
Sirāt (Óliver Laxe, 2025)
Rencontrer la mort sur le chemin détourné d’une danse, une fête, une jouissance tragique
Fantôme utile (Ratchapoom Boonbunchachoke, 2025)
Les fantômes qui exigent la justice ne se laissent pas effacer, oublier, leur présence insiste et s’ils se rassemblent, ils peuvent transformer le monde des vivants
Miroirs n°3 (Christian Petzold, 2025)
On ne peut pas compenser la culpabilité d’avoir causé ou laissé venir la mort, mais on peut marcher, franchir un pas au-delà
The Idiots (Lars Von Trier, 1998)
Il aura fallu, pour renaître, en passer par un lieu de confusion, d’effacement, de non-savoir : idiotie, bêtise, handicap mental
Breaking the Waves (Lars von Trier, 1996)
Un amour inconditionnel, sous emprise, par le simple pouvoir de la voix, fait des miracles
Conceiving Ada (Lynn Hershman-Leeson, 1997)
Une mise en œuvre du principe analytique du biopic : « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire » à propos d’Ada Lovelace, dont l’essentiel reste secret
Cronos (Guillermo del Toro, 1993)
Ce n’est pas le mourant qui a le plus à perdre, c’est le vivant éternel, qui ne peut pas solder ses dettes
Blue Velvet (David Lynch, 1986)
Je rêve d’un autre amour caché, secret, mystérieux, dont mon oreille, séparée de mon corps, pourrait entendre le chant inquiétant, dangereux
Alpha (Julia Ducournau, 2025)
Dans un monde déréglé, sans lien social ni valeurs, on ne peut s’appuyer que sur une famille étroite, et des corps quasi morts
Mother, I Am Suffocating. This Is My Last Film About You (Lemohang Jeremiah Mosese, 2019)
Je porte en moi ma mère, ma patrie, elles m’étouffent, trop lourdes pour que je tienne sous leur poids, je les chasse
The Life of Chuck (Mike Flanagan, 2025)
L’adage : « Quand un vivant disparaît, un monde disparaît avec lui » – pris aussi littéralement que possible
Don’t let the Sun (Jacqueline Zünd, 2025)
Avec le dérèglement climatique, ce sont tous les liens sociaux, humains et affectifs qui se dérèglent
Dracula (Radu Jude, 2025)
Un film déréglé, qui renvoie péniblement au pire dérèglement, celui du monde
Valeur sentimentale (Joaquim Trier, 2025)
Une présence obscure, enfouie, aura incrusté entre le père et la fille un archi-lien, une quasi-télépathie
White Snail (Elsa Kremser et Levin Peter, 2025)
Une amitié suspendue à la ligne fragile qui sépare la vie de la mort – ne peut pas durer
Legend of the Happy Worker (Duwayne Dunham, David Lynch, 2025)
Pour continuer à vivre, il faut renoncer à poser la question : « Pourquoi ? »
Materialists (Celine Song, 2025)
On peut faire couple ou se marier par calcul, transaction, voire sentiment amoureux – mais alors dans le même mouvement on s’expose à l’incalculable
Eddington (Ari Aster, 2025)
Un film ni pire ni plus pénible à voir que ce qu’il représente : le retour du chaos, sans autre perspective que le chaos lui-même
Une femme douce (Robert Bresson, 1969)
Un amour irraisonné, surgi inopinément, c’est un danger, une perte de contrôle qui peut être mortelle
Model Shop (Jacques Demy, 1969)
L’amour inconditionnel, ce n’est pas le début d’une histoire à venir, c’est la fin d’une histoire où rien n’est arrivé
Lola (Jacques Demy, 1961)
Rien ne peut empêcher la réitération, à chaque génération, du même cycle d’amours dont la trace subsiste, inconditionnellement
Nuits blanches (Luchino Visconti, 1957), Quatre Nuits d’un Rêveur (Robert Bresson, 1971)
Il n’y a pas de justice en amour
L’accident de piano (Quentin Dupieux, 2025)
Le système de l’Internet forclot la douleur, et aussi la singularité, l’intimité, l’insu, l’inconscient, etc.
Kinds of Kindness (Yórgos Lánthimos, 2024)
Dans un système qui tend au totalitarisme, une défaillance qui bouleverse les places et les fonctions est toujours possible – mais nul n’en connaît à l’avance le résultat
Baal (Bertolt Brecht, 1919, Volker Schlöndorff, 1970)
Le rejet de toutes les valeurs par un personnage obscène, inqualifiable, fait advenir un amour irrésistible, injustifiable, intenable, qui ne trouve de réciprocité que dans la mort
L’Opéra de Quat’Sous (Bertolt Brecht, 1928 – Georg Wilhelm Pabst, 1931)
Ethique du voyou : « On ne peut vivre et rester honnête » Le film de Pabst commence par un double « principe absolu » (c’est le terme utilisé) : 1/ « D’abord la pitance, le...
Stranger Eyes (Yeo Siew-Hua, 2024)
Un monde dans lequel le regard, « male gaze » ou « female gaze », s’atrophie au profit d’un non-regard, le « cam gaze »
Scénario (Jean-Luc Godard, Jean-Paul Battaggia, Fabrice Aragno, Nicole Brenez, 2024)
Anticipation d’un film dont la toute dernière partie reste à venir
Le Procès (Orson Welles, 1962)
Nous sommes affectés par une culpabilité originelle, irréparable, qui ne peut être ni compensée, ni sanctionnée
Reflet dans un diamant mort (Hélène Cattet et Bruno Forzani, 2025)
Dans un monde sans enjeu ni avenir, il ne reste que des références, des compulsions, des poussées de fantasme, des traces de désir dont le sens se dérobe
Les Espions (Henri-Georges Clouzot, 1957)
De ce monde inexplicable, insensé, où il faut bien vivre, on ne peut témoigner qu’en silence
La Prisonnière (Henri-Georges Clouzot, 1968)
Testament de Clouzot : Il appartient à tout cinéaste digne de ce nom d’honorer un statut d’exception : le droit de se soumettre à sa guise, sans loi ni limite, les acteurs, personnages et autres items d’un film
L’Enfer (Henri-Georges Clouzot, 1964, Claude Chabrol, 1994, Serge Bromberg, 2009)
Axiome de Clouzot : « Ayant un droit d’emprise sur tous les éléments d’un film (personnes et choses), j’ai aussi le droit souverain, inaliénable, de le·s mettre à mort »
Chime (Kiyoshi Kurosawa, 2024)
Un appel sans source, ni origine, ni signification, ni cause, ni enjeu – ne peut conduire qu’à la destruction : de soi et de l’autre
Quadrilogie de l’éthique à venir : La Double Vie de Véronique, Bleu, Blanc, Rouge (Krzysztof Kieślowski, 1991-94)
Pour ouvrir une autre éthique, il faut pleurer, implorer
Trois Couleurs : Blanc (Krzysztof Kieślowski, 1994)
À l’amour inconditionnel, rien n’est comparable ni équivalent
Trois Couleurs – Bleu (Krzysztof Kieślowski, 1993)
Un deuil de soi ambigu, qui rend la singularité possible
La Double vie de Véronique (Krzysztof Kieślowski, 1991)
L’essentiel n’est pas l’identité, mais les minces différences qui font de mon double un·e autre, un supplément dont je suis inséparable
Trois couleurs – Rouge (Krzysztof Kieślowski, 1994)
Il n’y a pas de fraternité sans bénédiction : porter l’autre vers un avenir inconnu
Kaïro (Kiyoshi Kurosawa, 2001)
Chacun, solitaire face à l’Internet, peut se transformer en fantôme de l’autre côté de l’écran et disparaître de ce monde-ci (sauf exception)
Cloud (Kiyoshi Kurosawa, 2024)
Derrière les fluctuations de la valeur monétaire des objets, se cachent des vies concrètes, des corps affectés, des espoirs brisés
Fairytale (Alexandre Sokourov, 2022)
Des plus brutaux acteurs de l’histoire, on ne retient que l’impardonnable
La Rose Pourpre du Caire (Woody Allen, 1985)
Un brouillage des limites qui transgresse la mise en abyme elle-même
Rumours (Guy Maddin, Evan et Galen Johnson, 2024)
Démocratie aporétique : un peuple absent, des décideurs qui ne décident de rien, l’effacement du politique
No Country for Old Men (Joel & Ethan Coen, 2007)
Au-delà de son intérêt, le tueur souverain érige sa propre loi, une obligation quasi-morale, inconditionnelle, à laquelle il ne peut contrevenir
Les Linceuls (David Cronenberg, 2024) (The Shrouds)
Contourner le deuil en ne retenant de la mort que sa matérialité (pourriture, décomposition)
A Serious Man (Joel et Ethan Coen, 2009)
Un dibbouk qui fait de l’incertitude un principe de vie, une obligation éthique, métaphysique, un pas au-delà du monde
Demon (Marcin Wrona, 2015)
En exigeant une justice impossible à instaurer, le dibbouk interdit l’oubli
Le Dibbouk (Michał Waszyński, 1937)
Celui dont l’avenir aura été déterminé avant la naissance n’aura pas d’avenir, il ne vivra pas
Le Labyrinthe de Pan (Guillermo del Toro, 2006)
Incapable de traverser jusqu’au bout les épreuves, la justice incarnée par l’innocence ne peut que mourir assassinée
Le chant des Oiseaux (Albert Serra, 2008) (El Cant dels ocells)
Sur le chemin d’une foi qui ne repose sur rien d’autre que la foi – un « rien » suffisant pour fonder la croyance, la crédibilité
Honor de Cavalleria (Albert Serra, 2006)
Le monde qui s’en est allé nous laisse sans orientation : tu n’as pas de chemin pour moi, je n’ai pas de chemin pour toi, mais si tu me suis, nous irons au-delà
La langue universelle (Matthew Rankin, 2024)
S’il y avait une langue universelle, elle serait en même temps étrangère et ma langue, générale et locale : ce serait une langue impossible, aporétique
Adolescence (série de Jack Thorne, Stephen Graham et Philip Barantini, 2025)
Inexplicable, instable, inclassable, insaisissable, le jeune meurtrier incarne le déséquilibre d’où pourrait surgir une réponse, une nouvelle donne
Histoire de ma mort (Albert Serra, 2013)
Ayant vécu « ma vie » sous le signe de la gratuité, « ma mort » arrive quand à cette place s’impose l’échange, la circulation du sang
Queer (William S. Burroughs, 1952, Luca Guadagnino, 2024)
Il faut, pour cheminer vers le deuil, le soutien d’une addiction, d’une substance pharmacologique
Une femme sous influence (John Cassavetes, 1974)
Trop d’affect, de spontanéité, de tension amoureuse, une femme trop différente, c’est pour la société, la famille, une déconstruction, une agression insupportable
Le gâteau préféré (Maryam Moghadam et Behtash Sanaeeha, 2024)
Un dernier désir au-delà de tout désir : mourir vivant
Possession (Andrzej Żuławski, 1981)
En-deçà de l’amour surgit la violence primordiale, inexplicable, de l’archi-amour
White Dog (Samuel Fuller, 1982) – Dressé pour tuer
Le conditionnement au racisme est irréversible, c’est un crime que rien ne peut réparer ni compenser
Black Dog (Guan Hu, 2024)
Pour effacer les dettes à l’égard d’autrui, il aura fallu que s’instaure une relation toute autre avec les vivants, les animaux, les personnes
Invasion (Hugo Santiago, 1969)
Une menace extérieure anonyme, impersonnelle, inexpliquée, exige un sacrifice pur, inconditionnel, sans réserve
La Clepsydre (Wojciech Has, 1973)
Comment ne pas trouver son chemin, dans le temps retardé du retour spectral et de la désagrégation du temps
La Grâce (Ilya Povolotsky, 2023)
Un monde en suspens dans un voyage où s’effritent le social, l’autorité, ouvrant la voie à d’autres valeurs, au-delà du deuil
Le Sacrifice (Andreï Tarkovski, 1986)
Evider un monde pour porter, sans que rien ne l’entrave, le commencement d’une parole
La dernière tentation du Christ (Martin Scorsese, 1988)
Un Jésus vivant, qui ne cède en rien au sacrifice
Pepe (Nelson Carlo de los Santos Arias, 2024)
Une fable aporétique où la mort du souverain ouvre la possibilité d’une hybridité à venir
A queda do céu (La Chute du Ciel) (Gabriela Carneiro da Cunha & Eryk Rocha, 2024)
Témoigner de la présence d’un peuple par un semblant d’archive
The Brutalist (Brady Corbet, 2024)
Il faut, pour aller vers sa propre destination, la violence de l’autre
Maria (Pablo Larrain, 2024)
D’une voix perdue, absente, on ne peut faire émerger qu’une archi-présence pour toujours enclose, inaccessible, encryptée
Nosferatu, symphonie de l’horreur (Friedrich Wilhelm Murnau, 1922)
Pour sauver la ville de la mort, il faut renoncer à l’amour conjugal pour une autre alliance, mystérieuse, un autre réseau d’allégeance
Presence (Steven Soderbergh, 2024)
Le rêve du réalisateur : une caméra qui, se faisant passer pour un spectre, possède la faculté d’intervenir sur ce qu’elle filme
Nosferatu (Robert Eggers, 2024)
Tomber sous emprise est une malédiction dont on ne peut s’extraire qu’en y sacrifiant ce qui, au fond de soi, y adhérait
Ma Vie Ma Gueule (Sophie Fillières, 2024)
Je n’ai rien d’autre à transmettre que ma singularité, ma personnalité, en tant qu’elle est unique, insubstituable
Basic Instinct (Paul Verhoeven, 1992)
Quand le pouvoir souverain, obscur, de la féminité, met en jeu la peine de mort pour s’approprier la puissance phallique
La Voyageuse (Hong Sang-soo, 2024)
La simple présence d’une personne étrangère, sans raison ni justification, peut arracher quelqu’un à sa vie quotidienne, traduire ses pensées dans une autre langue
Bunny Lake a disparu (Otto Preminger, 1965)
La mise en scène d’une histoire diffractée, disséminée, inépuisable, enfouit dans l’obscurité la folie incestueuse des personnages
Anatomie d’une Chute (Justine Triet, 2023)
En l’absence de preuve, il faut un témoignage – fût-ce d’un enfant – pour décider, mais le jugement véritable, s’il en est, pourrait venir d’ailleurs
Spectateurs! (Arnaud Desplechin, 2024)
Témoigner par le cinéma de la faculté du cinéma à témoigner du réel
Les Affranchis (Martin Scorsese, 1990) (Goodfellas)
La mafia fait peser sur ses membres une dette illimitée, qu’elle compense par la promesse d’une jouissance gratuite, sans limite
La Chambre d’à côté (Pedro Almodóvar, 2024) (The Room next Door)
Pour mourir dans la dignité, il faut mourir vivant
Bird (Andrea Arnold, 2024)
Le jour des premières règles est celui où une bénédiction doit venir, pour protéger, accompagner et aussi prendre son envol
La reine Margot (Patrice Chéreau, 1994)
Purifier la violence primordiale par la beauté des corps souffrants, réparer par un amour quasi-religieux un massacre abominable
Zelig (Woody Allen, 1983)
L’identité de celui dont l’identité est de ne pas en avoir est aussi une identité, celle qui oblige à vivre dans l’aporie
Songe d’une nuit d’été (A Midsummer Night’s Dream) (Shakespeare, 1595-96), film réalisé par Elijah Moshinsky en 1981
Pour restaurer le mariage légitime, contractuel, voulu par les pères, il faut en passer par le sortilège d’une autre amour disruptif, envoûtant, déstabilisateur
Forrest Gump (Robert Zemeckis, 1994)
Une pure éthique singulière, inconditionnelle, d’une absolue simplicité, ne peut pas se mesurer à l’injustice
Here (Robert Zemeckis, 2024)
Il aura fallu un cadre unique, fixe, stable, pour faire du domicile le lieu où s’incarne la phrase : « Il n’y a pas de chez soi »
Flow (Gints Zilbalodis, 2024)
Dans un monde flottant, réduit à des vestiges, il n’y a pas de finalité à l’errance
Oh Canada (Paul Schrader, 2024)
Faute d’avoir été digne d’amour, je voudrais être digne de la vérité, mais celle-ci m’échappe, il ne me reste que la prière
Fotogenico (Marcia Romano et Benoît Sabatier, 2024)
Faire son deuil en préservant, malgré tout, un lieu où la trace du mort peut s’inscrire
American Gigolo (Paul Schrader, 1980)
Nouveau christianisme : on peut accéder à la rédemption en donnant du plaisir
Profession Reporter (Michelangelo Antonioni, 1975)
Je ne peux prétendre qu’en vérité, « Je suis mort », qu’en prenant l’identité d’un vivant assez crédible pour dire : « il est mort », mais alors ce « il », ce doit être aussi moi
Identification d’une femme (Michelangelo Antonioni, 1982)
Seule la femme du dehors est digne d’alliance, mais jamais elle n’est disponible : elle éblouit, se dérobe et disparait
Noël à Miller’s Point (Christmas Eve at Miller’s Point, Tyler Taormina, 2024)
Pour pallier l’épuisement du « chez soi », on multiplie les ornements, les plats, les cadeaux et les chansons nostalgiques, mais ça ne marche pas, on n’est plus nulle part