Auteur : Pierre Delain
Fallen Angels (Un crime passionnel, Otto Preminger, 1945)
Je vais le soutenir, le porter, car je sais à l’avance où cela le conduira – à la neutralisation de ses fautes, au mariage
La trilogie du cycle vital de Lisandro Alonso : La Libertad, Los Muertos, Fantasma (2001-2006)
Réduite à la nudité du cycle vital, l’expérience cinématographique ne débouche sur aucun monde
Orwell, 2+2=5 (Raoul Peck, 2025)
La police de la pensée décrite par Orwell n’est plus nécessaire, car désormais la société s’en charge avec une efficacité inouïe, tant globalement qu’au niveau le plus singulier
Jauja (Lisandro Alonso, 2014)
Une errance à la poursuite de sa descendance jusqu’à la perte totale d’identité, le néant
L’Inconnu de la Grande Arche (Stéphane Demoustier, 2025)
Rêvée comme un art, l’architecture se mue en tombeau de l’architecte
Deux Procureurs (Sergueï Loznitsa, 2025)
Il ne suffit pas de se révolter au nom de la justice, il faut se déprendre, changer de paradigme
Un Poète (Simón Mesa Soto, 2025)
Croire en la possibilité d’une poésie asociale, inconditionnée – c’est un risque, un danger dont les proches doivent se protéger
Myth of Man (Jamin Winans, 2025)
Dans un monde sans parole, sans écoute, sans compassion, il n’y a plus aucun vivant pour porter un enfant
Le Voyage de Morvern Callar (Lynne Ramsay, 2002)
Une appropriation posthume au service d’un énigmatique désir féminin
A House of Dynamite (Kathryn Bigelow, 2025)
Où l’hypercalculable basé sur le plus scientifique et procédurier des calculs aboutit à la plus radicale indécision
Ce que cette nature te dit (Hong Sangsoo, 2025)
Il faudrait, pour se dissocier légitimement du monde, être un poète exceptionnel, unique – celui qui n’en est pas digne est rejeté, méprisé
L’Étranger (Albert Camus 1942, Luchino Visconti 1967, François Ozon, 2025)
Étranger au monde, indifférent à ses valeurs, il assume le geste qui, par la peine de mort, l’en séparera pour toujours
La Dame de Shanghai (Orson Welles, 1947)
Il faut, pour survivre, accepter l’incompréhensible, renoncer au calculable
Touch of Evil (La Soif du Mal) (Orson Welles, 1958)
Le mal surgit quand la chaîne des promesses, des dettes, des reconnaissances et des représailles s’altère, se dérègle, se disloque
Chronology of Water (Kristen Stewart, 2025)
Un film ultra-féminin qui décrit l’immersion corporelle, émotionnelle et sexuelle dans le phallo-pouvoir, son écriture et la voie d’un certain apaisement
Nouvelle Vague (Richard Linklater, 2025)
Combiner dans le même mouvement la déprise et l’affirmation d’une pensée singulière
Weapons aka Evanouis (Jack Cregger, 2025)
Rien ne peut empêcher que le rêve de vengeance, de possession, d’emprise mentale sur autrui, déborde de son intention initiale
Une bataille après l’autre (Paul Thomas Anderson, 2025)
Il faut préférer l’hybridation à la confrontation violente des appartenances et des opinions
Brazil (Terry Gilliam, 1985)
Il faut, pour que triomphe le pouvoir absolu, réduire les fantasmes à néant, car ils se présentent comme les plus dangereuses des pensées
1984 (George Orwell, 1948, Michael Radford, 1984)
Pour s’imposer absolument, le souverain ne doit pas seulement commander aux vivants, à la société, il faut aussi qu’il commande absolument à la pensée
Kontinental 25 (Radu Jude, 2025)
Je me sens coupable d’une situation à laquelle je suis, de fait, associé·e, et nul ne peut guérir, ni même alléger ma culpabilité
La Venue de l’Avenir (Cédric Klapisch, 2025)
Nepo babies et Nepo art – Un film de retrouvailles familiales qui laisse entendre que l’art ne vaut que par sa valeur mémorielle ou marchande
After Hours (Martin Scorsese, 1985)
Une nuit de chaos qui, en définitive, ne change rien – car jamais le héros ne se détache de la faute
Le Salaire de la Peur (Henri-Georges Clouzot, 1953), Sorcerer (William Friedkin, 1977)
Pour qui est déjà mort (socialement, humainement), il n’y a pas de retour possible
Sirāt (Óliver Laxe, 2025)
Rencontrer la mort sur le chemin détourné d’une danse, une fête, une jouissance tragique
Fantôme utile (Ratchapoom Boonbunchachoke, 2025)
Les fantômes qui exigent la justice ne se laissent pas effacer, oublier, leur présence insiste et s’ils se rassemblent, ils peuvent transformer le monde des vivants
Miroirs n°3 (Christian Petzold, 2025)
On ne peut pas compenser la culpabilité d’avoir causé ou laissé venir la mort, mais on peut marcher, franchir un pas au-delà
The Idiots (Lars Von Trier, 1998)
Il aura fallu, pour renaître, en passer par un lieu de confusion, d’effacement, de non-savoir : idiotie, bêtise, handicap mental
Breaking the Waves (Lars von Trier, 1996)
Un amour inconditionnel, sous emprise, par le simple pouvoir de la voix, fait des miracles
Conceiving Ada (Lynn Hershman-Leeson, 1997)
Une mise en œuvre du principe analytique du biopic : « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire » à propos d’Ada Lovelace, dont l’essentiel reste secret
Cronos (Guillermo del Toro, 1993)
Ce n’est pas le mourant qui a le plus à perdre, c’est le vivant éternel, qui ne peut pas solder ses dettes
Blue Velvet (David Lynch, 1986)
Je rêve d’un autre amour caché, secret, mystérieux, dont mon oreille, séparée de mon corps, pourrait entendre le chant inquiétant, dangereux
Alpha (Julia Ducournau, 2025)
Dans un monde déréglé, sans lien social ni valeurs, on ne peut s’appuyer que sur une famille étroite, et des corps quasi morts
Mother, I Am Suffocating. This Is My Last Film About You (Lemohang Jeremiah Mosese, 2019)
Je porte en moi ma mère, ma patrie, elles m’étouffent, trop lourdes pour que je tienne sous leur poids, je les chasse
The Life of Chuck (Mike Flanagan, 2025)
L’adage : « Quand un vivant disparaît, un monde disparaît avec lui » – pris aussi littéralement que possible
Don’t let the Sun (Jacqueline Zünd, 2025)
Avec le dérèglement climatique, ce sont tous les liens sociaux, humains et affectifs qui se dérèglent
Dracula (Radu Jude, 2025)
Un film déréglé, qui renvoie péniblement au pire dérèglement, celui du monde
Valeur sentimentale (Joaquim Trier, 2025)
Une présence obscure, enfouie, aura incrusté entre le père et la fille un archi-lien, une quasi-télépathie
White Snail (Elsa Kremser et Levin Peter, 2025)
Une amitié suspendue à la ligne fragile qui sépare la vie de la mort – ne peut pas durer
Legend of the Happy Worker (Duwayne Dunham, David Lynch, 2025)
Pour continuer à vivre, il faut renoncer à poser la question : « Pourquoi ? »
Materialists (Celine Song, 2025)
On peut faire couple ou se marier par calcul, transaction, voire sentiment amoureux – mais alors dans le même mouvement on s’expose à l’incalculable
Eddington (Ari Aster, 2025)
Un film ni pire ni plus pénible à voir que ce qu’il représente : le retour du chaos, sans autre perspective que le chaos lui-même
Une femme douce (Robert Bresson, 1969)
Un amour irraisonné, surgi inopinément, c’est un danger, une perte de contrôle qui peut être mortelle
Model Shop (Jacques Demy, 1969)
L’amour inconditionnel, ce n’est pas le début d’une histoire à venir, c’est la fin d’une histoire où rien n’est arrivé
Lola (Jacques Demy, 1961)
Rien ne peut empêcher la réitération, à chaque génération, du même cycle d’amours dont la trace subsiste, inconditionnellement
Nuits blanches (Luchino Visconti, 1957), Quatre Nuits d’un Rêveur (Robert Bresson, 1971)
Il n’y a pas de justice en amour
L’accident de piano (Quentin Dupieux, 2025)
Le système de l’Internet forclot la douleur, et aussi la singularité, l’intimité, l’insu, l’inconscient, etc.
Kinds of Kindness (Yórgos Lánthimos, 2024)
Dans un système qui tend au totalitarisme, une défaillance qui bouleverse les places et les fonctions est toujours possible – mais nul n’en connaît à l’avance le résultat
Baal (Bertolt Brecht, 1919, Volker Schlöndorff, 1970)
Le rejet de toutes les valeurs par un personnage obscène, inqualifiable, fait advenir un amour irrésistible, injustifiable, intenable, qui ne trouve de réciprocité que dans la mort
L’Opéra de Quat’Sous (Bertolt Brecht, 1928 – Georg Wilhelm Pabst, 1931)
Ethique du voyou : « On ne peut vivre et rester honnête » Le film de Pabst commence par un double « principe absolu » (c’est le terme utilisé) : 1/ « D’abord la pitance, le...
Stranger Eyes (Yeo Siew-Hua, 2024)
Un monde dans lequel le regard, « male gaze » ou « female gaze », s’atrophie au profit d’un non-regard, le « cam gaze »
Scénario (Jean-Luc Godard, Jean-Paul Battaggia, Fabrice Aragno, Nicole Brenez, 2024)
Anticipation d’un film dont la toute dernière partie reste à venir
Le Procès (Orson Welles, 1962)
Nous sommes affectés par une culpabilité originelle, irréparable, qui ne peut être ni compensée, ni sanctionnée
Reflet dans un diamant mort (Hélène Cattet et Bruno Forzani, 2025)
Dans un monde sans enjeu ni avenir, il ne reste que des références, des compulsions, des poussées de fantasme, des traces de désir dont le sens se dérobe
Les Espions (Henri-Georges Clouzot, 1957)
De ce monde inexplicable, insensé, où il faut bien vivre, on ne peut témoigner qu’en silence
La Prisonnière (Henri-Georges Clouzot, 1968)
Testament de Clouzot : Il appartient à tout cinéaste digne de ce nom d’honorer un statut d’exception : le droit de se soumettre à sa guise, sans loi ni limite, les acteurs, personnages et autres items d’un film
L’Enfer (Henri-Georges Clouzot, 1964, Claude Chabrol, 1994, Serge Bromberg, 2009)
Axiome de Clouzot : « Ayant un droit d’emprise sur tous les éléments d’un film (personnes et choses), j’ai aussi le droit souverain, inaliénable, de le·s mettre à mort »
Chime (Kiyoshi Kurosawa, 2024)
Un appel sans source, ni origine, ni signification, ni cause, ni enjeu – ne peut conduire qu’à la destruction : de soi et de l’autre
Quadrilogie de l’éthique à venir : La Double Vie de Véronique, Bleu, Blanc, Rouge (Krzysztof Kieślowski, 1991-94)
Pour ouvrir une autre éthique, il faut pleurer, implorer
Trois Couleurs : Blanc (Krzysztof Kieślowski, 1994)
À l’amour inconditionnel, rien n’est comparable ni équivalent
Trois Couleurs – Bleu (Krzysztof Kieślowski, 1993)
Un deuil de soi ambigu, qui rend la singularité possible
La Double vie de Véronique (Krzysztof Kieślowski, 1991)
L’essentiel n’est pas l’identité, mais les minces différences qui font de mon double un·e autre, un supplément dont je suis inséparable
Trois couleurs – Rouge (Krzysztof Kieślowski, 1994)
Il n’y a pas de fraternité sans bénédiction : porter l’autre vers un avenir inconnu
Kaïro (Kiyoshi Kurosawa, 2001)
Chacun, solitaire face à l’Internet, peut se transformer en fantôme de l’autre côté de l’écran et disparaître de ce monde-ci (sauf exception)
Cloud (Kiyoshi Kurosawa, 2024)
Derrière les fluctuations de la valeur monétaire des objets, se cachent des vies concrètes, des corps affectés, des espoirs brisés
Fairytale (Alexandre Sokourov, 2022)
Des plus brutaux acteurs de l’histoire, on ne retient que l’impardonnable
La Rose Pourpre du Caire (Woody Allen, 1985)
Un brouillage des limites qui transgresse la mise en abyme elle-même
Rumours (Guy Maddin, Evan et Galen Johnson, 2024)
Démocratie aporétique : un peuple absent, des décideurs qui ne décident de rien, l’effacement du politique
No Country for Old Men (Joel & Ethan Coen, 2007)
Au-delà de son intérêt, le tueur souverain érige sa propre loi, une obligation quasi-morale, inconditionnelle, à laquelle il ne peut contrevenir
Les Linceuls (David Cronenberg, 2024) (The Shrouds)
Contourner le deuil en ne retenant de la mort que sa matérialité (pourriture, décomposition)
A Serious Man (Joel et Ethan Coen, 2009)
Un dibbouk qui fait de l’incertitude un principe de vie, une obligation éthique, métaphysique, un pas au-delà du monde
Demon (Marcin Wrona, 2015)
En exigeant une justice impossible à instaurer, le dibbouk interdit l’oubli
Le Dibbouk (Michał Waszyński, 1937)
Celui dont l’avenir aura été déterminé avant la naissance n’aura pas d’avenir, il ne vivra pas
Le Labyrinthe de Pan (Guillermo del Toro, 2006)
Incapable de traverser jusqu’au bout les épreuves, la justice incarnée par l’innocence ne peut que mourir assassinée
Le chant des Oiseaux (Albert Serra, 2008) (El Cant dels ocells)
Sur le chemin d’une foi qui ne repose sur rien d’autre que la foi – un « rien » suffisant pour fonder la croyance, la crédibilité
Honor de Cavalleria (Albert Serra, 2006)
Le monde qui s’en est allé nous laisse sans orientation : tu n’as pas de chemin pour moi, je n’ai pas de chemin pour toi, mais si tu me suis, nous irons au-delà
La langue universelle (Matthew Rankin, 2024)
S’il y avait une langue universelle, elle serait en même temps étrangère et ma langue, générale et locale : ce serait une langue impossible, aporétique
Adolescence (série de Jack Thorne, Stephen Graham et Philip Barantini, 2025)
Inexplicable, instable, inclassable, insaisissable, le jeune meurtrier incarne le déséquilibre d’où pourrait surgir une réponse, une nouvelle donne
Histoire de ma mort (Albert Serra, 2013)
Ayant vécu « ma vie » sous le signe de la gratuité, « ma mort » arrive quand à cette place s’impose l’échange, la circulation du sang
Queer (William S. Burroughs, 1952, Luca Guadagnino, 2024)
Il faut, pour cheminer vers le deuil, le soutien d’une addiction, d’une substance pharmacologique
Une femme sous influence (John Cassavetes, 1974)
Trop d’affect, de spontanéité, de tension amoureuse, une femme trop différente, c’est pour la société, la famille, une déconstruction, une agression insupportable
Le gâteau préféré (Maryam Moghadam et Behtash Sanaeeha, 2024)
Un dernier désir au-delà de tout désir : mourir vivant
Possession (Andrzej Żuławski, 1981)
En-deçà de l’amour surgit la violence primordiale, inexplicable, de l’archi-amour
White Dog (Samuel Fuller, 1982) – Dressé pour tuer
Le conditionnement au racisme est irréversible, c’est un crime que rien ne peut réparer ni compenser
Black Dog (Guan Hu, 2024)
Pour effacer les dettes à l’égard d’autrui, il aura fallu que s’instaure une relation toute autre avec les vivants, les animaux, les personnes
Invasion (Hugo Santiago, 1969)
Une menace extérieure anonyme, impersonnelle, inexpliquée, exige un sacrifice pur, inconditionnel, sans réserve
La Clepsydre (Wojciech Has, 1973)
Comment ne pas trouver son chemin, dans le temps retardé du retour spectral et de la désagrégation du temps
La Grâce (Ilya Povolotsky, 2023)
Un monde en suspens dans un voyage où s’effritent le social, l’autorité, ouvrant la voie à d’autres valeurs, au-delà du deuil
Le Sacrifice (Andreï Tarkovski, 1986)
Evider un monde pour porter, sans que rien ne l’entrave, le commencement d’une parole
La dernière tentation du Christ (Martin Scorsese, 1988)
Un Jésus vivant, qui ne cède en rien au sacrifice
Pepe (Nelson Carlo de los Santos Arias, 2024)
Une fable aporétique où la mort du souverain ouvre la possibilité d’une hybridité à venir
A queda do céu (La Chute du Ciel) (Gabriela Carneiro da Cunha & Eryk Rocha, 2024)
Témoigner de la présence d’un peuple par un semblant d’archive
The Brutalist (Brady Corbet, 2024)
Il faut, pour aller vers sa propre destination, la violence de l’autre