It must be heaven (Elia Suleiman, 2019)
Puisque le monde ne répond plus, je ne peux l’interroger qu’en parfait étranger, dans la plus pure inconditionnalité, par le langage du cinéma
I. Nazareth
Nous sommes dans la basilique de l’Annonciation1, à Nazareth. Une cérémonie grecque-melkite-catholique est en cours. Le pope mène le cortège dans le sous-sol de l’église. Il s’arrête devant une porte2, prononce une formule solennelle3et frappe. La porte ne s’ouvre pas. Il recommence et elle ne s’ouvre toujours pas. « Mon père, même si Dieu descend, on n’ouvrira pas » dit-on de l’autre côté. « Ouvrez avant que je vous massacre, je vais briser votre bouteille sur vos deux têtes ». Ils refusent toujours d’ouvrir. Le pope doit forcer une autre porte d’un coup de pied pour, après un simulacre de combat4 et quelques gifles, passer le seuil et poursuivre le cérémonial. Il faut, avant le générique, avant même le début du film, une transgression, une infraction, un frayage, un acte de violence (primitive). Il faut que cet acte de violence soit lié à la Résurrection, au salut, et il faut aussi qu’il soit ridiculisé, discrédité, dégradé. Qu’est-ce qui va en sortir ? Le film, rien d’autre que le film. Un film comme celui-là ne nait pas sans douleur ni combat, il exige une action virile, un rapport de force5. Pour ébranler des portes closes, il faut une autorité, un prêtre. Le prêtre se présente comme le porteur de la loi, son détenteur. En principe, c’est lui qui détient la maîtrise du seuil, le contrôle des portes6. Les fidèles gardent leur sérieux, chantent avec discipline, mais ils savent aussi que leur officiant n’est qu’une caricature, un bouffon.
E.S.7 arrive dans un appartement dont la disposition est presque parfaitement symétrique8. Il arrose un petit oranger en pot. Au centre de l’image se trouve une horloge qui marque dix heures moins le quart. E.S. entend retentir le carillon et remet l’horloge à l’heure : dix heures. Le décalage ne se situe pas dans le personnage qui se présente comme tout à fait normal – voire comme la seule et unique personne à peu près normale dans le dispositif du film9, ni dans l’appartement qui est propre et bien rangé, la divergence problématique se trouve dans la machine, dans l’horloge. Le mécanisme sonne un quart d’heure trop tôt – il pourrait sonner un quart d’heure trop tard, ce serait pareil. Face à un homme en quête d’ordre, d’une norme enfin claire et compréhensible par et pour tous, c’est la machine du monde qui est déréglée.
E.S. sort prendre un café sur le balcon. Son visage s’inscrit exactement au centre de l’image. Il voit, stupéfait, quelqu’un cueillir les citrons de son jardin. « Je ne te vole pas, dit le voisin, mais comme il n’y avait personne chez toi, je n’ai pas pu demander la permission ». Au centre de l’image, il y a un sujet, mais dépossédé. Il faut qu’il y ait du centre, et il faut aussi que l’individu placé au centre soit décentré. Plus le centre est visible, moins il est sûr. Plus l’image insiste sur cette centralité, plus il faut la restaurer, la réparer, la calculer. Autour de la seule fonction qui subsiste incontestablement, le regard, il se pourrait que quelque chose puisse se reconstruire, mais quoi ? Il se pourrait que, focalisé sur le regard, E.S. en oublie d’écouter.
Dans un cimetière chrétien, E.S. marche lentement, une cigarette à la bouche. Il regarde les tombes, lit les inscriptions. Dans ce film où chaque scène isolée de la suivante est essentiellement présente à elle-même, il est difficile de trouver une place pour le passé. Il y a de l’ancien temps dit cette scène, il faut le respecter, mais ce temps ancien ne nous habite pas, il ne nous enrichit pas comme usage ou coutume. Il réside en un lieu bien déterminé et clos sur lui-même, le cimetière. Rien de cocasse ici, de saugrenu, de loufoque ou de burlesque, le passé y est mort, révolu. E.S. y passe en pèlerin, en errant, sans attaches10. On ne trouve jamais les bonnes tombes. Celles qui vous importent ont déjà disparu, et celles qui restent vous sont indifférentes. Dans un cimetière, il n’y a rien qui puisse se léguer, aucun souvenir, aucune tradition.
Tandis qu’il marche dans la rue, E.S. entend courir. Il se retourne et voit un groupe d’hommes menaçants, armés de pistolets et de bâtons. Inquiet, il leur fait face, mais les hommes le dépassent sans même le remarquer. Au carrefour suivant, ils se dispersent. Un homme regarde ses yeux au beurre noir dans le rétroviseur d’une moto. Il passe en boîtant devant E.S.. E.S. est-il engagé ou non ? Il cultive l’incertitude. Environné de conflits dont il est incapable de maîtriser les causes, les tenants et les aboutissants, il n’est pas indifférent aux autres, ce sont les autres qui sont indifférents à lui, ce sont eux qui lui imposent la position de pur regard11 qu’il met en scène. Il assume cette position dans un rôle antinomique, voire oxymorique : celui de réalisateur-spectateur12.
Dans un restaurant, E.S. boit, seul à sa table, un verre d’arak (ou autre). Il occupe le centre de l’image, tandis qu’en face de lui, une jeune femme entourée de ses deux frères occupe aussi le centre exact de l’image. La symétrie de la scène est presque parfaite. Les deux frères boivent du whisky. Tout en regardant fixement E.S., ils reprochent au tenancier d’avoir présenté à leur sœur un plat trop acide. Embarrassée, elle confirme : le plat était un peu aigre. Le tenancier répond que le plat était préparé avec du vin blanc. Les deux frères aux bras et aux doigts couverts de bijoux rétorquent : « Vous voulez dire que notre sœur est en train de picoler à notre insu ? Ça va vous coûter cher vous savez. » Le tenancier rajoute du whisky dans leurs verres. Ils les lèvent, boivent, les reposent bruyamment dans une simultanéité absolue, tandis qu’ils regardent fixement non pas le tenancier mais E.S., comme si c’était lui le coupable. Pendant ce temps, la jeune fille mange son poulet. Dans cette scène grossièrement patriarcale, c’est la symétrie qui frappe le plus : une symétrie maniaque entre les frères accusateurs, identiques et interchangeables, et un autre genre de symétrie entre les accusateurs (les frères) et les coupables (le tenancier, E.S.). La symétrie sert à mettre en valeur cette dissymétrie. Un ordre brutal, minutieux, s’impose à lui. Il sait qu’il ne peut rien faire pour la jeune femme qui lui fait face, et il sait aussi que, quoi qu’il fasse, il est responsable de son sort.
C’est la nuit. E.S., revenu chez lui, arrose son oranger. Le voisin taille son citronnier (toujours sans permission), et s’en va. Dans la rue, E.S. croise un autre voisin qui raconte une histoire de chasse aux alouettes ou aux perdrix dans laquelle il a sauvé un serpent, lequel lui a marqué sa reconnaissance en lui réparant son pneu. E.S. ne répond jamais.
Une femme africaine est en adoration devant une image de la vierge Marie. Sur une terrasse, E.S. choisit une bouteille de vin. Des policiers en scooter achètent des jumelles à un vendeur ambulant. Ils observent un homme pisser dans un coin puis fracasser une bouteille sur un mur. Ils ne disent rien, grimpent sur leur scooter et s’en vont. Il pleut. Le chasseur pisse à son tour contre un mur. E.S. l’abrite sous son parapluie. Deux voisins se tournent le dos sur deux balcons en s’injuriant, dans un même immeuble. Le voisin voleur arrose les citronniers. Chez lui, E.S. fouille dans sa table de nuit : papiers, passeports, objets de culte. Il replante un citronnier, semble organiser un déménagement, écoute une musique arabe. Sur une route de campagne, il conduit une voiture, s’arrête dans une oliveraie, observe des cactus. Une apparition féminine fait des allers-retours en transportant de l’eau sur sa tête. E.S. regarde la mer, reprend sa voiture. Il est rejoint par une voiture de patrouille israélienne : une femme aux yeux bandés à l’arrière, et à l’avant deux soldats israéliens s’échangeant leurs lunettes de soleil. Une anecdote après l’autre, elles ont toutes un sens. On pourrait les interpréter, les commenter, les rattacher à tel ou tel événement, les expliquer par le contexte politique, personnel, émotionnel ou autre13, mais finalement elles n’ont qu’un point commun : être situées par E.S. dans sa région de naissance. Il souffre de sa citoyenneté qui n’est qu’une absence de citoyenneté mais il ignore sa chance car il sait d’où il est, même si son passeport n’est pour lui qu’une vaste tromperie. Où étais-je avant mon dernier voyage, et avant le dernier, et avant l’avant-dernier ? Je ne m’en rappelle plus. L’homme de Nazareth avait dit : « Je marche et je meurs, toi, tu marcheras, mais tu ne mourras pas ». Je ne l’avais pas cru mais c’est lui qui avait raison. Dans ce film c’est un autre qui marche, marche, marche, entre les flics, les militaires, les vagabonds, les voisins. Il a le droit de marcher partout, y compris dans les cimetières. Son drame, c’est que partout il retrouve la même chose.
C’est un film sur la vision. D’un côté, E.S. regarde, il ne fait que ça, tandis que de l’autre côté, une Palestinienne est enfermée dans une voiture les yeux bandés. Les soldats israéliens14 échangent leurs lunettes de soleil comme s’ils ne voulaient surtout pas voir (et pourtant ils conduisent). Cette rare femme est le complément-supplément de son regard. Une autre Palestinienne faisait des aller-retours dans un verger, que seul E.S. pouvait voir. Les Israéliens ne veulent surtout rien voir, tandis que la Palestinienne ne voit rien d’autre que son chemin. Entre ces non-voyants, il y a son regard à lui, dont il n’est pas sûr qu’il soit beaucoup plus lucide. Même s’il arrive parfois que son regard se perde dans notre direction, il n’y a aucun regard-caméra explicite et direct dans ce film. Le spectateur n’est jamais appelé à y entrer, et on se demande si E.S. lui-même est appelé à y entrer. Appartient-il vraiment à cette scène, ou bien est-il une sorte de hors-champ intégré par erreur dans le champ ? L’acteur-réalisateur n’est-il qu’un spectateur comme les autres qui, comme les autres, regarde ce film burlesque ? Il interroge un monde fabriqué par son imagination mais qui lui arrive quand même de l’extérieur. Il est totalement passif, et en même temps il est entièrement démiurgique. À l’intérieur du film, personne ne s’intéresse à sa personne, mais le film est là, devant nous, et nous nous y intéressons.
Dans l’avion qui lui fait quitter le Proche-Orient, E.S. voit par le hublot l’aile s’assouplir dangereusement. Des bruits surprenants surviennent. Les autres passagers ne semblent pas réagir15. Il se demande si c’est lui qui est malade. Il s’isole, et sort le dernier de l’avion.
II. Paris.
E.S. est assis à une terrasse de café. Des jolies femmes sexy habillées à la dernière mode passent les unes après les autres. Fasciné, E.S. ne peut pas détourner son regard. De sa chambre d’hôtel la nuit, il regarde fixement un étage de grand magasin de prêt à porter. On peut voir sur un écran un défilé de mode où un mannequin avance face à la caméra, puis s’écarte. Souvent les personnages sont démultipliés : policiers, militaires, jeunes femmes, mannequins ou frères, ils portent les mêmes vêtements et font les mêmes gestes. Ce sont des clones interchangeables, des figurines décoratives, des automates lancés par un enfant. Leur protocole gestuel est rigoureux, réglé comme des chorégraphies. Dans cette synchronisation, rien n’est superflu, tout est maîtrisé, rentabilisé, exploité. On retrouve ce souci d’ordre dans les décors, souvent symétriques. C’est la valse des stéréotypes. À part les Noirs (femme de ménage, éboueurs), il n’y aurait à Paris que des marionnettes.
De sa chambre d’hôtel, E.S. voit un jeune homme courir dans une rue vide, jeter un objet (probablement un bouquet de fleurs) sous l’unique voiture en stationnement et disparaître. Trois policiers en gyro-roue forment un étrange ballet autour de la voiture, et puis s’en vont, dans un délicieux accompagnement sonore. Ces « forces de l’ordre » n’exercent aucune force. Inefficaces, irrationnelles, surnumériques, elles contribuent plus au désordre qu’à l’ordre – ce qui les rendrait plutôt sympathiques.
Presque partout, les rues sont vides, comme s’il y avait un couvre-feu16. Des bouteilles sont entassées près d’un conteneur. Devant une église, un homme court après un enfant. Ils sont suivis par trois policiers en patin à roulettes. Une femme en chaise roulante arrive dans l’autre sens, suivie par un petit chien blanc. Devant une église, une foule fait la queue pour une distribution alimentaire. Le SAMU donne un plateau repas à un sans-abri sur son bout de trottoir. On lui demande ce dont il a besoin, comme s’il était le passager d’un avion. Au-dessus des Tuileries vides, une escadrille d’avions passe. Depuis la place des Victoires, vide elle aussi, devant la Banque de France, des tanks passent. À un croisement, un couple de Japonais ou de Coréens sort d’un taxi et, avec leurs valises, s’approche d’E.S. : Are you Brigitte ? puis We are looking for Brigitte17. E.S. s’enfuit dans une rue vide. Il stationne seul devant la pyramide du Louvre, puis prend le métro. Un tricheur passe avec lui. Une femme SDF parcourt le quai d’en face, suivie par de nombreux policiers. Le métro aussi est vide (ou presque, sauf le tricheur menaçant). Sur le quai de la Seine passe un escadron de gendarmerie à cheval, suivi par un véhicule de nettoiement qui ramasse les crottes. Des éboueurs simulent une partie de golf avec des bouteilles vides, puis s’approchent de lui. Il baisse la tête, comme s’il était coupable, mais c’est un écran derrière lui qu’ils regardent, avec un défilé du 14 juillet (Patrouille de France, chars, feu d’artifice). On voit des touristes sur un pont (rare présence humaine). E.S. leur tourne le dos et regarde les bateaux-mouches. À part la foule invisible, le regard d’E.S. ne voit que des SDF, des flics, des militaires, des jolies femmes, des touristes et du vide, mais ce ne sont pas des vrais gens, ce ne sont que les incarnations de ces catégories, des figures de personne. Si des êtres vivants véritables se faufilaient dans cette foule, le film perdrait son sens. Le regard naïf, ébahi, du réalisateur-spectateur-enfant-qui-vient-de-naître devrait céder la place à une réciprocité, une banale intersubjectivité exclue par principe dans le projet même du film.
E.S. rencontre un producteur auquel il a soumis son projet de film. Celui-ci s’adresse à « M. Suleiman »18 et lui déclare : « C’est un film sur le conflit palestinien. Comme vous le savez on a une certaine sympathie pour la cause palestinienne. (…) [mais à la lecture de votre projet], on pourrait dire presque qu’on n’a pas trouvé ça assez palestinien. (…) On a l’impression que ça se passe en Palestine, mais si ça se passait ailleurs, ce serait la même chose, ça pourrait même se passer ici… Donc je pense pas qu’on va donner suite ». E.S. prend acte, répond par un long silence et s’en va. C’est le moment de la mise en abyme : le véritable Elia Suleiman se met en scène dans le moment de la préparation du film que nous voyons. Ce film n’aurait pas dû être fait, il n’aurait pas dû être tourné, car il n’est « pas assez palestinien », c’est-à-dire pas assez tourné vers les stéréotypes qui caractérisent, dit-on, la « cause » palestinienne. Dans le film, E.S. (celui du film) ne défend aucune cause. Il n’est qu’un pur regard qui voit ce qu’il voit, un regard sans préjugé, sans autre engagement que cette position où il s’est volontairement réduit. Celui qui regarde ce regard (le spectateur) en tirera les conséquences qu’il voudra.
On revient à la symétrie, E.S. au centre, devant le bassin des Tuileries où l’on s’arrache les chaises qui sont en nombre insuffisant. Retour au défilé de mode, une femme de ménage nettoie l’écran. Dans l’appartement, un moineau égaré picore sur la table d’E.S. Assis à une terrasse rue Montorgueil (les noms de rues sont toujours affichés de manière explicite), E.S. est entouré d’une équipe de policiers municipaux mesurant l’écartement entre les tables et les chaises, pour vérifier sa conformité (symétrie presque parfaite de l’image). Un saxophoniste joue très mal (et faux). E.S. se retrouve chez lui. Il essaie d’écrire à l’ordinateur (Apple). Le moineau ne cesse de le déranger. Dans la rue, on emporte la voiture sous laquelle un bouquet avait été jeté. E.S. finit par s’énerver contre le moineau envahissant et le mettre dehors19. Des avions passent dans le ciel. Pourquoi continuer ? Pourquoi ne pas rester au même endroit ? Il a poussé dehors un moineau qui n’avait rien à faire sur un ordinateur. Peu importe où vont les avions qui circulent dans le ciel, c’est là qu’est sa place. Ce n’est pas un nouvel exil, c’est un exil supplémentaire, un exil au carré, encore plus qu’un exil qui ne commande pas seulement l’ailleurs mais l’errement.
III. New-York / Montréal.
E.S. arrive la nuit, en taxi, à New York. La saleté des rues contraste avec la propreté des rues parisiennes, le vacarme des boulevards contraste avec le silence parisien. E.S. se tait, comme d’habitude, c’est le chauffeur de taxi qui lui adresse la parole : « De quel pays venez-vous ? – Nazareth. – Nazareth. C’est un pays ? – Je suis Palestinien ». Le taxi s’arrête brusquement, et le chauffeur, un Noir, se retourne : « Palestinien ! C’est incroyable, il faut que je vous regarde, je n’avais jamais vu un Palestinien. (…) Ecoutez, pour cette fois, c’est moi qui paye la course.» Il téléphone à sa femme : « Devine… Je suis avec un Palestinien… Je n’en avais encore jamais vu. Karafat, tu te rappelles Karafat ? Il est de Nazareth ! Jésus de Nazareth ! ». À Paris, un producteur de films exprime sa sympathie pour la Palestine ; à New York, un chauffeur de taxi s’enthousiasme. La phrase prononcée par E.S., Je suis Palestinien20, déclenche un don. C’est une phrase magique, sacrée, qui produit chez l’autre un mouvement spontané de fascination, de solidarité. E.S. voyagera gratuitement mais il ne réagit pas, il ne sourit pas, ne remercie pas, il semble au contraire dépassé, débordé, comme s’il n’était pas concerné par sa propre popularité à laquelle il assiste en spectateur. Qui sait ce que cela signifie, être un Palestinien ? Pour le chauffeur de taxi qui dit Karafat au lieu d’Arafat, la signification du mot est liée à son expérience quotidienne (racisme, discrimination). Il sait que Nazareth est la ville de Jésus mais ignore peut-être la localisation du pays. E.S. ne prend aucun risque : il lui arrive de prononcer le mot, mais il ne lui donne aucun sens.
La veille d’Halloween, dans une supérette, tous les clients, hommes, femmes, enfants, personnes âgées, circulent avec des armes automatiques (fusil-mitrailleur, fusil d’assaut…). La caissière est elle aussi armée. Dans la rue, un couple avec enfant sort d’un taxi. L’homme retire un bazooka du coffre. On entend partout le cliquetis des armes. Des voitures de police défilent sans cesse. Dans Central Park, E.S. observe une femme déguisée en ange, qui reste immobile dans l’indifférence générale. Des hélicoptères passent dans le ciel. Elle tourne sur elle-même, retire son costume, est poursuivie par une file de policiers. Leurs mouvements s’organisent en une sorte de chorégraphie symétrique. Les policiers courent les uns après les autres. Quand ils l’attrapent, elle a disparu, il ne reste que les ailes. Allusion, peut-être, au paradis dont le nom est inscrit dans le titre du film : It must be heaven. Le paradis n’est ni en Palestine, ni à Paris, ni à New York, il est dans la disparition du corps de l’ange. Les pouvoirs policiers sont partout mais l’ange ne lutte pas contre eux, il s’efface quand ils arrivent. Il les provoque mais ne les combat pas frontalement, il se retire, il disparaît au moment où ils s’emparent de son corps. Telle serait la ligne politique d’E.S., s’il en avait une21.
E.S. est invité à présenter le film que nous voyons, It must be Heaven, dans un amphithéâtre, à un groupe d’étudiants dont certains sont déguisés en animaux. « Pouvez-vous nous parler de votre sentiment d’être devenu ce que nous nommons un citoyen du monde ? Votre identité est-elle devenue un signe du passé alors que votre existence nomade remplaçait par des lieux multiples votre amour d’un seul lieu ? En d’autres termes, Êtes-vous un parfait étranger ? » demande l’interviewer. E.S. regarde les étudiants, hybridés, chimérisés, animalisés, sans réagir. Il semble dépassé par les événements, effrayé. Il ne dit rien. Pour devenir un parfait étranger, il ne suffit pas d’être considéré ou de se considérer soi-même comme un étranger partout où l’on va, il faut encore avoir oublié son identité d’origine, s’en être débarrassé complètement, car celui qui ne serait pas un étranger chez lui ne serait pas un parfait étranger. Ce pourrait être la question du film, la question qu’E.S. se pose à lui-même. Si chez lui, à Nazareth, en Palestine, il se sent étranger à tel point que ce qu’il nomme encore chez lui n’est plus chez lui, alors il n’y a pas de lieu où il soit autre chose qu’un étranger. Le parfait étranger existe-t-il ?. Partout où tu passes, il faut bien que tu vives et que tu respires comme les autres, il faut bien que ouvres les yeux, et ce qui t’intéresse ou ce qui te concerne se présentera à toi22. S’il n’y avait rien en commun, tu ne serais même pas un étranger. L’expression Parfait étranger est le parfait oxymore, car un étranger ne peut pas être parfait. Il faudrait qu’il se déguise, qu’il s’habille d’une identité factice, et même alors, ce ne serait pas un statut, mais une incertitude. Dire qu’E.S. est un parfait étranger, c’est l’inclure dans un genre, une catégorie, un ensemble qui existerait comme ensemble, même vide. E.S. ne peut pas acquiescer car en tant que sujet unique, insubstituable, aucune généralité ne lui correspond. La difficulté pour lui, l’aporie indépassable, c’est qu’il est obligé de prononcer de temps à autre cette phrase : Je suis Palestinien23. Alors il préfère ne rien dire, et laisser son œuvre parler pour lui24.
Dehors, c’est Halloween. Les gens sont tous déguisés, pas seulement en citrouilles mais aussi en hamburgers, en bêtes sauvages, en lapins, en motocylistes, en King Kong ou autre super-héros – comme si le public de l’amphithéâtre s’était répandu dans les rues. Ils sont grimés, masqués, les uns vomissent, d’autres se soulèvent ou s’embrassent. Un zombie le regarde devant un vendeur de falafels, la jeune femme angélique passe devant lui, des hélicoptères survolent la scène.
Dans une réunion politique (10th Annual Arab American Forum for Palestine), des militants debout applaudissent si fort qu’on n’entend plus l’orateur, qui leur demande de n’applaudir qu’une seule fois pour chacun des treize intervenants présents sur la tribune. Il les nomme les uns après les autres, mais la prise de vue s’arrête avant d’être parvenue à E.S.. C’est la scène la plus raide à l’égard de la Palestine : un meeting politique réduit à sa composante la plus simple, la plus basique : les applaudissements. On applaudit un nom, un symbole, on applaudit des orateurs, on s’applaudit soi-même applaudissant un présentateur25.
Montréal. Dans le salon d’accueil d’une maison de production, E.S. attend son tour. Gael García Bernal explique au téléphone qu’il doit présenter le projet de son ami le Palestinien Elia Suleiman (un vrai Palestinien, dit-il) en anglais alors qu’il préférerait le présenter en espagnol. Il dit à la productrice Nancy Grant26 que ce réalisateur prépare en ce moment un film drôle sur la paix au Moyen-Orient, dont le titre est : « Le paradis peut attendre ». Elle rit et s’en va avec Bernal. En partant, elle salue le Palestinien : « It was a pleasure to meet you ». Il semblerait que le prestige du Palestinien s’effondre d’un coup. It was a pleasure to meet you, la phrase signifie : J’en ai rien à faire de vos histoires. Au-delà de toutes les solidarités, de toutes les compassions, c’est (de loin) le plus courant des comportements.
En contre-jour, dans le bureau d’un voyant, E.S. fait son choix parmi les cartes du tarot. Réponse du voyant : « OK, that’s interesting, There will be Palestine ». Il regarde E.S. dans les yeux et répète « There will be Palestine, absolutely. It’s going to happen. You have to hang on. OK good, good, yes. ». Il sourit et ajoute « It’s not going to happen in your life time, or mine! ». Il y aurait un messianisme de la Palestine dont le contenu serait encore inconnu, une signification du mot Palestine qu’il y aurait à découvrir, plus tard27. En la reportant plus loin, on évite de s’appesantir sur les problèmes actuels. En l’évacuant, on en fait une obsession, une hantise28.
Dans un bar, au son d’une musique arabe. Une jolie serveuse sert de l’arak, avec petits verres et glaçons. Un homme est assis symétriquement face à E.S., ils fument. « Ecoute, tu m’excuseras, mais je voudrais te dire quelque chose. Vous, les Palestiniens, vous êtes bizarres. Le monde entier boit pour oublier, vous êtes le seul peuple qui boit pour se souvenir. » Dans la foulée de cette phrase solennelle, ils boivent, tandis qu’un jeune homme danse solitairement, nostalgiquement, la cigarette entre les doigts. Ce jeune homme, ce pourrait être une figure de l’universel tel qu’imaginé, conçu par Elia Suleiman : un universel sans contenu, pourchassé par une force militaro-policière aussi vide qu’inefficace. Ce serait le Palestinien, ou plus généralement le sujet d’aujourd’hui réduit à sa plus simple expression : l’étranger quasi-parfait qui a tout oublié et qui, levant les bras au ciel, cherche à se ressouvenir.
À l’aéroport, au portique de détection, dans une symétrie parfaite, les voyageurs non suspects sont orientés à gauche, tandis qu’E.S. est orienté à droite. L’agent de sécurité le fouille, lui passe un détecteur de métaux portatif sur le corps. E.S. se prête au jeu, mais soudain son corps tourne un peu vite, il manque de renverser l’agent une fois, deux fois, lui emprunte son détecteur et se livre à un numéro de jonglage. Le détecteur s’en va et revient, automatiquement, comme un boomerang, entre ses mains. Légèrement déstabilisé, l’agent de sécurité le laisse passer. E.S. s’en va d’un air de défi. Ce n’est pas tout à fait le 11 septembre, mais E.S. utilise la force américaine pour la retourner contre l’Amérique, la ridiculiser. Sur le point de rentrer chez lui, pour la première (et éventuellement) dernière fois, il renverse l’autorité. C’est lui le maître, le possesseur d’une force magique qui subvertit l’un des emblèmes de la puissance américaine : le contrôle des frontières.
IV. Nazareth.
Le petit oranger a bien poussé, grâce à l’arrosage du fils du voisin. On est revenu au point de départ. Ce film qui ne promet rien de précis dans un avenir dont rien ne prouve qu’il viendra, ce film en forme de boucle met en scène un petit citronnier qui, en l’absence de son propriétaire, par les soins attentifs du fils du voisin, a pu grandir, pousser, remplacer les citronniers détruits. Parti de Nazareth, il revient à Nazareth où ce voisin amical s’est occupé de ses arbres. Il faut bien compenser, il faut bien qu’un petit espoir vienne soigner l’hyper-scepticisme.
E.S. reprend sa voiture sur le même itinéraire qu’au début du film29. Il se promène dans le même verger. La porteuse d’eau est toujours là, habillée de la même façon, avec la même gestuelle. Sous la pluie, elle fait les mêmes allers-retours apparemment inutiles, mais elle semble plus fatiguée. Toujours solitaire, E.S. se rend dans une discothèque où il boit un verre en fumant (son occupation préférée). Les alcools alignés devant lui, il observe la jeunesse palestinienne, mixte, danser sur une musique arabo-occidentalisante, dans une atmosphère de boîte de nuit internationale. L’écran s’obscurcit tandis que, dans le noir, s’affiche la dédicace : to Palestine. In memory of John Berger, Humbert Balsan, my mother and father30.
- Cette basilique a été inaugurée en 1964 par le pape Paul VI et consacrée en 1969. C’est la plus grande des églises du Moyen-Orient. Des fouilles archéologiques ont mis au jour des vestiges d’une église byzantine, d’une église croisée ainsi que des restes datant peut-être du Ier siècle, comme des fondations d’habitations, des aires d’entreposage, des silos et des presses à huile. Elle est constituée de deux églises superposées. Au niveau inférieur se trouve la « grotte de l’Annonciation », où Marie aurait vécu. Au niveau supérieur se trouve l’église où se réunit la communauté catholique. La scène filmée par Elia Suleiman semble se situer dans l’escalier qui relie les deux étages. ↩︎
- Cette porte marquerait, dit-on, le « seuil au-delà duquel la Résurrection du Christ doit rappeler la victoire sur ses souffrances ». ↩︎
- « Portes, élevez vos têtes, haussez-vous, portes éternelles, et le Roi de gloire entrera » ↩︎
- Walten, dirait Jack Y. Deel. Citation apocryphe : Il faut entendre, dans les œuvres, la discordance originelle, inouïe. ↩︎
- Toujours dans le film, à l’intérieur du film, E.S. montrera plus loin le combat avec les producteurs. ↩︎
- Dans la nouvelle de Kafka, Devant la loi, l’homme de la campagne reste devant la porte de la loi sans entrer. Ce n’est pas le gardien qui l’en empêche. La porte est ouverte. Il est en face de la loi, mais il ne l’affronte pas. La loi n’est pas présente, elle est derrière la porte ouverte. L’homme ne voit pas la loi, il ne voit que le gardien. Il retarde le moment de franchir la porte, d’entrer en relation avec la loi. Pas encore, pas maintenant. Il n’y a rien d’infranchissable, la loi n’ordonne rien, et pourtant l’homme s’interdit d’entrer. Il se sent obligé de respecter l’ordre de ne pas accéder à la loi ; même si cet ordre ne lui a jamais été donné. Il n’obéit pas, il s’interdit. Il s’arrête. Il est sujet de la loi, mais aussi hors la loi. Pour avoir rapport avec elle, pour la respecter, il faut interrompre la relation directe, il faut n’entrer en relation qu’avec ses représentants, ses exemples, ses gardiens. Il faut ne pas savoir qui elle est, ce qu’elle est, où elle est, d’où elle vient et d’où elle parle. Il faut différer indéfiniment la comparution. On ne peut pas accéder à l’origine de la loi. ↩︎
- Le personnage principal du film n’ayant pas de nom, on a choisi de le mentionner par les initiales du réalisateur – voilà qui est aussi un acte de violence, comparable à celui du prêtre. ↩︎
- Cette symétrie annonce la construction rigoureuse du film. Le burlesque se présente comme une œuvre de pensée, une élaboration structurée, une composition quasi-philosophique. ↩︎
- Voire dans l’espèce humaine, pour ne pas dire tout l’univers. ↩︎
- Dans la cinématographie suleimanienne, le commencement est un présent perpétuel. Déjà son premier film Introduction to an Agreement (1990) ne dépasse pas le stade de l’introduction. Sa contribution à Sept jours à la Havane (2012) a pour titre : Diary of a Beginner. Même symétrie que dans It must be Heaven, même solitude silencieuse, même regard incrédule et cruel, même humour répétitif, même mépris du tourisme ordinaire, même irrévérence à l’égard du contexte historique et politique, même distance ironique à l’égard de la Palestine dont il ne s’éloigne jamais, même clôture en queue de poisson. ↩︎
- On peut se rassurer en se disant qu’un regard est toujours extérieur, innocent, mais on ne peut pas ignorer la dose de lâcheté ou de démission présente dans ce regard. ↩︎
- Le réalisateur-spectateur assigne à l’autre spectateur, nous, une position très précise, trop précise, qui n’a guère de liberté. ↩︎
- Le choix des anecdotes n’appartient qu’à Elia Suleiman. Leur signification est inaccessible à tout autre, c’est son secret. ↩︎
- Je les appelle « soldats israéliens » mais c’est abusif. Pour E.S., ce sont des soldats d’un pays qui n’existe pas. ↩︎
- Le réalisateur ne peut pas être dedans et dehors. Il joue toujours un jeu d’aveugle, en nous demandant de voir. ↩︎
- Ou un confinement. Tourné plusieurs années avant la crise du COVID, le film confine déjà Paris. ↩︎
- Suleiman aurait lui-même vécu cette scène, tournée devant la librairie L’Humaine Comédie. ↩︎
- Celui que nous avons nommé E.S. dans le film est donc bien Elia Suleiman, le réalisateur. Par cette séquence où il s’adresse à un véritable producteur, Vincent Maraval, il déclare jouer son propre rôle – même si ce n’est qu’un jeu d’acteur. Une affiche est mise en valeur, qui est peut-être le court-métrage Azadeh de Mirabbas Khosravinezhad (mais ce n’est pas sûr), où une jeune femme, dans un petit village d’Iran, tient à voir son père pour la dernière fois, malgré les avertissements de sa mère et de son frère. E.S. qui n’a, dans le film, ni père, ni mère, ni frères, ni sœurs (sauf dans la dédicace ultime), est dégagé de ce problème. À noter que la société Wild Bunch, dont Vincent Maraval est le directeur des ventes internationales, a contribué à la production et la distribution du film d’Elia Suleiman. ↩︎
- C’est le geste inverse de celui d’Audrey dans Bird People, qu’on analysera plus loin. E.S. n’entend pas l’appel à événement proféré par le moineau. ↩︎
- C’est la seule phrase prononcée par E.S. pendant tout le film. Quoi qu’il en dise, elle reste une phrase identitaire, un « je suis », une ontologie. Il est le Palestinien dont on parle, poursuivi par son propre prestige. ↩︎
- Tout est fait, dans ce film réalisé par un Palestinien, pour qu’il puisse être généralisé. Cet homme qui se dit sans pays se présente comme l’humain, l’humain standard. Certains critiques prétendent que partout où il va, quelque chose lui rappelle sa patrie, mais c’est plutôt l’inverse : partout où il va, quelque chose lui rappelle son absence de patrie. Ou bien c’est la même chose, puisque l’absence de patrie est partout. Cet homme qui ne fait que regarder ne s’identifie à aucune culture. Il tient absolument à rester un étranger partout où il passe, y compris chez lui, à Nazareth, pour autant que cette locution, chez lui, ait un sens généralisable. S’il est presque muet, c’est aussi parce qu’il ne choisit aucune langue. Dans ses interviews, il n’utilise pas sa langue maternelle (l’arabe), il préfère ce sabir international qu’est l’anglais. Le seul idiome qui lui reste, avec lequel il traduit toutes les autres langues, c’est la langue du cinéma. Tout se passe comme si celle-ci, et seulement celle-ci, restait encore une vraie langue susceptible d’être traduite dans les autres – à la façon du pur langage de Walter Benjamin. ↩︎
- Même le moineau qui circule obstinément sur l’ordinateur d’E.S. n’est pas un parfait étranger. ↩︎
- Citation de Suleiman dans une interview : « Si dans mes précédents films, la Palestine pouvait s’apparenter à un microcosme du monde, mon nouveau film tente de présenter le monde comme un microcosme de la Palestine ». Il y a l’absurdité, les contrôles, la police, les chars, les habitants qui vaquent à leurs occupations comme si de rien n’était, etc. E.S. fait un film de palestinien, parce qu’il faut bien qu’il fasse un film de palestinien puisqu’il est palestinien, mais c’est sans enthousiasme, et son regard, sur lequel le film ne cesse d’insister, tend vers une sorte de neutralité active et impossible. Le monde, il le voit comme surface, sans intériorité, comme s’il ne voulait surtout pas y entrer. Son mutisme est celui d’un homme assigné à une identité, dont à la fois il veut (il s’affirme solidaire des autres Palestiniens, notamment des jeunes) et ne veut pas (il est étranger à sa propre identité). Mais il n’est pas indifférent, et c’est toujours à Nazareth qu’il revient. ↩︎
- Si vraiment cette œuvre disait : Je suis palestinienne, cela nous plongerait dans un abîme de doute. ↩︎
- Elia Suleiman explique dans une interview en anglais retransmise par France 24 qu’il ne croit pas dans les États. Il n’a absolument aucune identification à un État, quel qu’il soit. Il pense que ce qui est essentiel politiquement, moralement et éthiquement, c’est la justice. Il dit qu’il combattra pour que le drapeau palestinien soit levé, mais qu’il combattra aussi pour qu’il soit descendu, simplement parce que son problème n’est pas celui des frontières, son problème, c’est qu’il y ait une égalité entre les gens, que la société soit séculière, et que les gens puissent choisir ce qu’ils veulent faire dans une démocratie. Son génie, en tant que cinéaste, c’est d’avoir réussi à traduire cela cinématographiquement. ↩︎
- Nancy Grant est une productrice franco-québécoise. Elle est née dans un petit village de Gaspésie, ce qui n’a aucune importance pour le sujet qui nous occupe, et a produit, entre autres, Xavier Dolan, Anne Émond, Monia Chokri, et le présent film d’Elia Suleiman. Son indifférence feinte à l’intérieur du film est donc particulièrement injuste. On ignore quelles sont ses relations avec l’acteur et réalisateur mexicain Gael García Bernal. ↩︎
- L’expression « There will be Palestine » ne désigne pas nécessairement un État. Ce peut être une idée, une pensée, une condition, etc. ↩︎
- La Palestine restera toujours une hantise pour les Israéliens, qu’ils le veuillent ou non. Même exclue des conversations, des prophéties, même oubliée, enfouie, même au-delà de la question étatique, elle reviendra. Symétriquement, l’État d’Israël jamais nommé par E.S. hante la Palestine. Il peut l’ignorer, le contourner, faire comme s’il n’utilisait pas ses infrastructures ou ses aéroports, mais il ne peut pas l’effacer complètement. Peut-être cette symétrie-là est-elle sous-jacente à son architectonique. ↩︎
- Une route qui ressemble à celles de Abbas Kiarostami dans Le goût de la cerise. ↩︎
- Cette dédicace, à elle seule, resocialise le désocialisé. Honneur à la Palestine, fidélité aux lignées paternelle et maternelle déjà mentionnées dans d’autres films dont Le temps qu’il reste (2009) et Chronique d’une disparition (1996), hommage à l’écrivain John Berger mort en 2017, qui fut membre du Tribunal Russel sur la Palestine, et au producteur Humbert Balsan, mort en 2005, qui a produit notamment des films de Youssef Chahine, Rachid Bouchareb, Maroun Bagdadi, et… Elia Suleiman (Intervention divine). À part la Palestine, il y a beaucoup de morts et peu de vivants dans cette dédicace. ↩︎