Spectateurs! (Arnaud Desplechin, 2024)
Témoigner par le cinéma de la faculté du cinéma à témoigner du réel
Témoigner par le cinéma de la faculté du cinéma à témoigner du réel
Il aura fallu un cadre unique, fixe, stable, pour faire du domicile le lieu où s’incarne la phrase : « Il n’y a pas de chez soi »
Faire son deuil en préservant, malgré tout, un lieu où la trace du mort peut s’inscrire
Pour pallier l’épuisement du « chez soi », on multiplie les ornements, les plats, les cadeaux et les chansons nostalgiques, mais ça ne marche pas, on n’est plus nulle part
On ne peut valoriser « ce que je suis », la fiction identitaire du soi-même, que par une mystique de la reconnaissance de soi par autrui
Pour aller plus loin, au-delà du pont, il aura fallu qu’il se vide, qu’il évacue la charge mentale du narcissisme et de la danse qui entravait sa marche
Fini de jouer! Sans chez soi ni extériorité, sans passé ni avenir, plus rien ne protège de la cruauté du monde
Il faut une voix possessive, étouffée quoique toute-puissante, pour s’approprier par le proxénétisme du texte et du montage le corps et l’expression des femmes
Dans l’obscurité de la nuit, un autre amour peut surgir, imprévu, inespéré, inexprimé, d’une intensité inouïe, et disparaître aussitôt
Une rencontre qui, dans un moment d’incertitude, préserve le mystère de l’autre, son secret, son énigme
Sans habitat, sans passé, sans futur, sans monde, il ne reste que les pleurs
Les souvenirs peuvent céder place à une autre mémoire, une archi-mémoire, une insaisissable pulsion amoureuse
Un événement évanescent, indéterminé, sans témoin crédible ni trace, on peut l’évoquer, en faire un film, un pur film, en multiplier les interprétations
Esquisse d’une autre communauté où l’éthique des singularités prévaut sur la solidarité de groupe.
Un effacement radical de la voix singulière sous l’omniprésence du corps et du son.
N’étant ni mort ni vivant, le disparu ne s’efface jamais; nul ne peut limiter sa présence, ni empêcher qu’elle se renouvelle.
Un monde clos dont les bords ne s’étendent qu’au prix d’une étrange et incontrôlable transformation.
« Pour te venger, effacer tes dettes, il faut que tu t’en souviennes, même si, dans la pure présence, tu ne peux te souvenir que de rien ».
En répétant deux fois son nom dans le titre « JLG/JLG », Jean-Luc Godard redouble et redouble et dissémine l’écho de sa propre voix.
Il faut, pour donner au film un poids de pensée, de réel, mettre en scène la non-réponse de l’autre.
L’instant pour moi le plus décisif, celui dont je désire le retour avec le plus d’intensité, c’est celui de « ma mort », dont je me souviens sans l’avoir vécue.
Un parcours dans les marges où la vie courante, sentimentale-économique, se dissout, s’efface, s’éclipse.