Manhunter (Michael Mann, 1986) (Le sixième sens)
Dans l’acte du criminel comme dans l’expérience du cinéma, il faut dominer l’image, la cadavériser, pour jouir du regard.
Dans l’acte du criminel comme dans l’expérience du cinéma, il faut dominer l’image, la cadavériser, pour jouir du regard.
Il suffit d’une goutte de sperme pour que s’efface la fiction d’une appartenance pure, indéniable.
Derrière le regard circulaire du système des médias, il y a des pleurs – impossibles à cacher, étouffer, réprimer, arrêter, surmonter.
L’œil-caméra comme système d’aveuglement, qui ne fonctionne que pour mettre à mort ce qu’il filme.
Perpétuer le deuil comme tel, en jouir, c’est le nier : en s’appropriant les morts, on exerce sur eux pouvoir et souveraineté.
Pour prouver la théorie freudienne qu’il enseigne, le professeur fait un rêve qui parodie cette théorie, en même temps qu’il parodie le film noir.
Pour un crime sans borne ni mesure, il n’y a pas d’expiation ni de compensation possible.
Il faut garder l’avenir ouvert, sans préjuger de ses conséquences ni s’enfermer dans une définition préalable du bien et du mal.
En espérant que d’une pure intériorité, dans les limbes réticulaires de l’apocalypse, quelque chose pourra surgir.
Il aura fallu qu’elle soit réduite à la fixité d’un portrait, prise pour morte, pour qu’elle rencontre enfin l’homme pur, intègre : le policier.
Je dois m’immoler par le feu, j’y suis poussé, incité sans but, sans raison, justification ni condition.
Où une fiction circulaire scelle l’alliance autobiographique du cinéma avec un « je ».
Un film, dans le film, révèle une vérité dont il témoigne par le montage.
Là où des cadavres se nourrissent de cadavres, ça ne fait plus monde, c’est sans monde.
Une allégorie de la traduction du monde en film ou du film en monde.
Perdre un monde suppose de renoncer aussi à une part de soi , un quasi-suicide qui conditionne la possibilité de continuer à vivre.
Il n’y a pas de cinéma sans argent, mais il ne peut y avoir de cinéma que s’il l’excède.
Le sexe, un pharmakon qui, prétendant compenser ou remédier à la vacuité, creuse un vide encore plus profond.
S’appuyer sur le mythe le plus courant pour inventer un autre référent, tout aussi mythique.
Entre calculabilité universelle et incalculabilité du travail, le balancier de l’horloge oscille
Il aura fallu passer par l’expérience du porno, l’épreuve de l’horreur, pour enfin vivre autre chose que la vie courante : vivre plus que la vie
« Je suis mort » ne peut se dire que dans une langue toute autre, intraduisible.
Plutôt que d’interpréter un rôle dans un film, il aura préféré jouer ce rôle dans la vie en se retirant d’un monde dans lequel il ne pouvait que mourir.
Il faut, dans ce monde dangereux, apprendre à s’engager, prendre tous les risques.
Il faut, pour donner au film un poids de pensée, de réel, mettre en scène la non-réponse de l’autre.
Ce film qui se termine par « rien » déclare, au-delà de tous les simulacres, rôles ou jeux sociaux, la valeur incommensurable de ce « rien ».
L’instant pour moi le plus décisif, celui dont je désire le retour avec le plus d’intensité, c’est celui de « ma mort », dont je me souviens sans l’avoir vécue.
La paralyse – ce temps de fermentation ou de bouillonnement qui est aussi la khôra du réalisateur.
Quand s’effondrent les limites, les parerga, rien ne peut arrêter la violence originelle, inouïe.
Comment écrire ce qui ne peut se dire ni en paroles, ni en images, mais seulement sur du vent, dans l’évanescence d’un film.
Quand l’ancrage territorial et temporel du cinéma risque de s’effacer, il faut attacher sa ceinture et continuer.
Un regard dans le film en appelle au-delà du film à un autre regard qui témoigne d’une alliance oto-biographique.
En jouant son propre effacement, le réalisateur revendique et assume sa responsabilité.
Le cinéma est un art discrépant, où sons, images, significations, etc., quoique simultanés, ne parviennent pas à s’accorder.
En portant l’enfant mort, le voyant fait le deuil de ce que lui-même a été.
Mettre le leurre cinématographique en œuvre tout en le tenant à distance, le démontant et le déconstruisant.
Le cameraman le plus crédible, le plus digne d’amour, c’est celui qui filme pour rien, sans projet ni intention (le singe).
Au bout du compte, le dernier mot appartient au cinéma, car malgré tout, il porte encore la promesse.