Conversation secrète (Francis Ford Coppola, 1974)
Il est dangereux de s’exposer au secret d’autrui, et encore plus dangereux de vouloir y intervenir
Il est dangereux de s’exposer au secret d’autrui, et encore plus dangereux de vouloir y intervenir
Cinéma de l’extrême dépouillement : deuil de l’illusion, de la duplicité, du populisme, du Joker, du pharmakon et du blockbuster lui-même
N’étant rien, le Joker peut tout représenter : le bien comme le mal, le rire comme les larmes, il est le « pharmakon » qui symbolise le chaos comme la justice, le crime et sa réparation
Entre la violente affirmation d’une souveraineté démesurée et la renonciation passive à toute décision, il y a complicité, voire équivalence, dont on ne peut s’extraire que par l’exigence d’un recul, d’un retrait
Inconditionnelle, la souveraineté est insoutenable mais digne; prise dans les calculs et les compromissions, elle s’auto-détruit dans l’indignité
Souverain, le roi doit pouvoir, dans le domaine qu’il a choisi, affirmer sans compromis ni condition la loi qui lui est propre
Les souvenirs peuvent céder place à une autre mémoire, une archi-mémoire, une insaisissable pulsion amoureuse
Un personnage hors-la-loi, un tournage hors norme, un film qui s’épuise avec son acteur dans la vacuité des stéréotypes
Où la contrainte économique et le pur plaisir (anéconomique) se confondent dans la même démesure, la même circularité fantasmagorique, qui est celle du cinéma
Le délire de souveraineté détaché du monde, ni crédible ni légitime, ne peut conduire qu’à l’autodestruction
Pris dans une confrontation stérile, sans raison ni projet, le jeune désorienté n’a d’autre choix que de se retirer lui aussi, sans raison, sans justification ni projet
Le vol d’argent n’annule ni la dette, ni l’économie; il faut pour cela des moments de gratuité qui ouvrent à la question de la liberté, sans la garantir
On ne peut poursuivre la quête aporétique, chercher à posséder ce qu’on sait ne pas pouvoir posséder, qu’avec l’appui crypté de la religion.
Enfermement et décrépitude sont indissociables; avec la clôture des frontières, toujours plus impérieuse, la déchéance ne peut que faire retour.
« Dans sa folie, ma mère m’a fait le plus beau des dons : l’exigence d’une responsabilité infinie ».
En photographiant ceux qu’on aime, on les tue, et ce meurtre déclenche une cascade de culpabilité, de folie et de mort
Ce qui fait la beauté irremplaçable du film et aussi sa faille, c’est que rien ne transpire du secret.
Notre monde s’efface, s’arrête, ce qui arrive est obscur, inconnu, absolument indéterminé.
Une singulière catastrophe amoureuse, incompréhensible, exceptionnelle et terrifiante, fait advenir une autre alliance, immaîtrisable et inconnue, entre la mort et la vie.
Se faire orpheline, exposée au danger, pour que s’invente une autre alliance.
« Je suis mort », souverainement mort, bien que vous puissiez encore voir mon corps, entendre ma parole et ma voix.
Tout autre, derrière l’apparence de normalité, est excessivement singulier, infiniment autre.
Il faut préserver le rapport sexuel, car c’est le seul rempart contre un ennui mortel.
Il faut, pour faire son deuil, spectraliser le mort, car porter un cadavre en soi, avec soi, est mortifère ».
Dans l’acte du criminel comme dans l’expérience du cinéma, il faut dominer l’image, la cadavériser, pour jouir du regard.
Là où ça décide, dans l’avenir, bénédiction et malédiction se confondent.
Le défaut absolu d’hospitalité conduit à la folie, au suicide.
Une allégorie de la traduction du monde en film ou du film en monde.
Je renonce à suivre les commandements de la société, du père, pour devenir ce que je respecte vraiment : un nom unique, irremplaçable, et rien d’autre.
À une exigence de fidélité venue d’ailleurs, des ascendants ou d’Afrique, on ne peut répondre que par un sacrifice, ou à défaut en pleurant.
Dans le secret de la crypte, l’amour inconditionnel conduit à l’auto-sacrifice, au retrait, au salut.
Accueillir l’étranger, c’est ce qui peut déclencher la haine la plus insensée, le rejet le plus délirant.
Un film sur l’amour : pas l’amour fou, mais l’amour en tant que fantasme, folie.
Un monde s’en est allé, il n’en reste rien d’autre que cette femme, la folle, l’exclue, qui ébranle à jamais « notre » monde.
Brouiller les frontières de la folie : une tentation de réalisateur, nécessaire, souhaitable, utopique et irréalisable.
Exiger l’amour inconditionnel du sans-nom, c’est impossible.