Megalopolis (Francis Ford Coppola, 2024)
Pour réparer le monde, il faudrait un « saut dans l’inconnu » dont nul ne connaît l’aboutissement; Coppola rêve le meilleur, mais le pire pourrait advenir
Pour réparer le monde, il faudrait un « saut dans l’inconnu » dont nul ne connaît l’aboutissement; Coppola rêve le meilleur, mais le pire pourrait advenir
J’aurai tout essayé, je me serai mise à nu, mais cela n’aura pas calmé ma faim, et me voici seule, au début
Il faut, pour sauver le cycle répétitif de la vie, abolir tout événement qui viendrait le perturber, au risque de déclencher un événement plus grave encore, plus destructeur encore
Ce qui, en-dehors de toute règle, s’interpose dans les brèches de la famille, du lien conjugal, est brutal, excessif, traumatisant, destructeur
Aux lettres d’amour maternelles, elle répond par la plus impersonnelle des répliques : une longue video postale
Il faut, pour porter la tristesse d’une fin d’amour, en garder la trace, l’archive, par une célébration
Pour transgresser sans limite les lois et normes courantes, la violence nazie prend appui sur une autre violence, familiale, qui laisse libre cours à toutes les perversions
Il y a en moi une violence élémentaire, incontrôlable, qui me fait haïr le lieu où j’habite, ma famille; ne pouvant y échapper, je n’ai pas d’autre choix que le meurtre
Un avenir qui se voudrait inconnu (X), brillant, qui, sans craindre la répétition cauchemardesque de cruautés passées, pourrait ajouter autre chose, imprévisible
Une force inconnue, difficilement descriptible, confère à certains actes de certaines personnes une extériorité unique, une capacité à se distinguer du commun, à faire événement
Transformer son identité, brouiller les genres, cela n’efface ni la faute ni la dette, mais cela peut ouvrir, pour d’autres, un « pas au-delà », une épiphanie
Exhiber, par la mise en jeu d’un corps nu, les ressorts cachés d’une soumission qui épuise la personne, la vie sociale, anéantit l’avenir
À défaut de « chez soi », on peut espérer, par l’amour, un lieu stable, familial, rassurant – dont on puisse librement s’éloigner
Pour remédier à des violences insupportables, des blessures irréparables, il faut un amour sauvage, hors norme, inconditionnel et illimité
Où la lesbienne enfle, enfle, et d’érection en érection, se dresse comme un phallus, éjacule fantasmatiquement et s’endort
Un amour inconditionnel que rien ne peut démentir, ni le viol, ni l’inceste, ni le scandale
On répare sans cesse les erreurs, les fautes ou les mensonges, mais quand survient l’irréparable, il est impossible de compenser, il ne reste que les pleurs
Pour réussir dans la vie sociale, médiatique, on n’échappe pas aux stéréotypes mais on peut contribuer à leur déconstruction.
Le jugement final, c’est que nul ne peut témoigner de la vérité.
Délivrée du phallique, la sexualité féminine peut se saisir de la chair.
Tuer pour procurer un héritage à son fils, dans le monde absurde des gangsters, c’est mourir vivant.
« Dans sa folie, ma mère m’a fait le plus beau des dons : l’exigence d’une responsabilité infinie ».
Il n’y a dans le monde que des marionnettes identiques à la voix identique, sauf dans un moment d’exception, unique, déstabilisant, irrépétable.
Réitérer, par une alliance avec le film, l’alliance entre le mort et la vie.
L’archi-amour, genre d’amour dont il est impossible de faire son deuil, est plus réel, plus crédible encore que la réalité
« Dès que je m’efforce de la respecter, la loi défaille »
« Puisque je suis déjà mort, je n’ai pas d’autre solution que de disparaître ».
Entre une vie, un récit, une fiction, les bordures sont vivantes : incertaines, changeantes, imprévisibles.
Aucun mur, aucune indifférence, aucun déni, aucune stratégie d’évitement, ne peut empêcher la contamination par la cruauté, le meurtre de masse.
Un Christ déjà mort, sacrifié avant même sa naissance, anéantit l’avenir.
Par les brèches de la famille, les fissures de la communauté, s’insinue une extériorité irréductible.
Vous êtes tous des criminels, je veux bien vivre parmi vous, mais je ne vous ferai pas d’enfants.
il y a dans ce film quelque chose de nazi : l’entrée en scène d’un monde absolument dépourvu d’avenir
La fille a le droit de se libérer d’une exigence inconditionnelle, absolue, à laquelle le père ne peut pas se soustraire.
Se faire orpheline, exposée au danger, pour que s’invente une autre alliance.
La collision de mondes clos n’ouvre ni avenir, ni survie.
Quand l’amour se décide, la trace se retire, elle s’efface – il faut plonger dans l’incertitude.
Esquisse d’une autre communauté où l’éthique des singularités prévaut sur la solidarité de groupe.
Pour ouvrir un autre monde, à venir, il ne faut pas reproduire ce monde-ci.
Malgré les échecs, les refus, les démentis, persiste une confiance mystérieuse en l’autre.
On ne peut répondre à la cruauté, inexplicable et injustifiable, que par un au-delà de la cruauté, tout aussi inexplicable et injustifiable.
On ne peut ni s’approprier une signature, ni usurper un nom innocemment.
La version hip hop du lien communautaire (Geschlecht), son empoisonnement, sa corruption et sa dislocation.
Ne craignez pas les catastrophes, car nous sommes protégés par une immunité quasi-miraculeuse, qui tombe directement du ciel.
Il aura fallu, pour que le fils prenne la place de l’antéchrist, carboniser le père, décapiter les femmes, réduire le logos en cendres.
En associant le long du fleuve les lieux fragmentés de la dette, de l’économie et de l’échange, on appelle une autre unité, une autre éthique.
Tragi-comique, scandaleux, imparable et inéluctable, l’événement sacré qui fait de Dieu une femme.
Une désagrégation où, dans son opposition chimérique à l’animal, l’humain se déconstruit, jusqu’à la mort d’un enfant
Au vivant inconditionnellement étranger à « notre » monde (l’autiste), on ne peut répondre que par l’exception, elle aussi inconditionnelle : « Je dois te porter ».
Il n’y a pas de limite au parasitage, pas de ligne protectrice qui ne puisse être franchie.
Monstrueuse la tragédie d’un fils naturel dont on attend qu’il assassine une mère déjà morte, un père déjà suicidé, au prix de sa vie.
Pour faire un couple comme pour faire un film, il faut multiplier les deuils, porter les endeuillés.
Les pères s’effacent, plus rien ne soutient les fils, il n’y a plus ni sujets, ni amis, ni amants.
Refuser la peine de mort exige un engagement inconditionnel démesuré, illimité, incompatible avec quelque transaction que ce soit.
L’amour (quasi-)incestueux est le seul qui, au coeur du continent noir, soit vraiment digne de ce nom.
Il suffit d’une goutte de sperme pour que s’efface la fiction d’une appartenance pure, indéniable.
Mourir déjà mort (ou presque), sans laisser de trace, altère la possibilité du deuil.
Insensible, muette, masquée, sans cause ni raison, la figure du mal s’en prend prioritairement à sa propre famille.
D’où reviennent les morts, au-delà de l’être, c’est là qu’il faut aller.
Il faut garder l’avenir ouvert, sans préjuger de ses conséquences ni s’enfermer dans une définition préalable du bien et du mal.
« Il faut que je te porte », pour que tu m’ouvres les yeux.
Pour un homme, faire jouir une femme est un plaisir sans limite; on peut tout donner pour cela, y compris son sexe, sa vie
Notre monde s’effondre, il n’y a personne pour nous porter et nous ne savons pas nous porter nous-mêmes.
Je dois, pour sur-vivre, me dépouiller de tout ce qui m’appartenait : identité, culture, personnalité, profession, croyances, etc.
Tenter de réunir des fraternités irréconciliables sans les contester de l’intérieur conduit à la paralysie, la tragédie, l’autodestruction.
Une virginité toute autre, d’avant toute virginité.
Déliée de toute dette, elle reste paralysée au bord de l’inconditionnel.
Je renonce à suivre les commandements de la société, du père, pour devenir ce que je respecte vraiment : un nom unique, irremplaçable, et rien d’autre.
« Je suis mort » ne peut se dire que dans une langue toute autre, intraduisible.
Il faut, dans ce monde dangereux, apprendre à s’engager, prendre tous les risques.
Ce qui reste silencieux ne peut s’écrire que dans une langue étrangère, intraduisible.
Un parcours dans les marges où la vie courante, sentimentale-économique, se dissout, s’efface, s’éclipse.
Du seul moment qui compte, la naissance, on ne peut rien dire ni rien se remémorer.
Jouir d’un vol, dans un désintéressement absolu, pour affirmer simultanément, sans les dissocier, son innocence et sa culpabilité.
Pas d’union d’un couple, d’amour, de famille, sans se confronter aux traditions et à la mort.
Dans un monde qui se déconstruit, il est tentant de se ruer sur les plaisirs, au risque d’aggraver le mal.
Un cinéma brut pour un art horizontal, au plus proche de la terre et des tracas quotidiens.
Une auto-hétéro-bio-thanato-graphie féminine où chaque femme semble jouer le rôle d’une autre, jusqu’à l’épuisement.
Avec la perfection du film muet, convergent l’apologie de l’amour et celle de la beauté adhérente en art.
Le suicide est un événement avec lequel on (l’autre) ne peut jamais faire la paix.
La déconstruction ordinaire, sans réponse, ça peut se consommer sans déplaisir, mais pas sans angoisse