La Fièvre du Samedi Soir (John Badham, 1977)
Pour aller plus loin, au-delà du pont, il aura fallu qu’il se vide, qu’il évacue la charge mentale du narcissisme et de la danse qui entravait sa marche
Pour aller plus loin, au-delà du pont, il aura fallu qu’il se vide, qu’il évacue la charge mentale du narcissisme et de la danse qui entravait sa marche
Pour réparer le monde, il faudrait un « saut dans l’inconnu » dont nul ne connaît l’aboutissement; Coppola rêve le meilleur, mais le pire pourrait advenir
Un film qui crée son propre monde qui n’est pas un monde, mais un montage cinématographique de situations, de citations et de dialogues, pour le salut du cinéma et de ses personnages
Il ne reste du naufrage du politicien que la trace d’un cri, le deuil de la vérité, de la confiance
Inconditionnel, excessif, asocial, irrationnel, l’appel archi-amoureux brouille les valeurs, les noie dans une équivalence/indifférence générale
Une substance pharmacologique peut effacer les stigmates du vieillissement, mais quand sa duplicité s’exhibe en public, alors elle fait exploser le lien social
Cinéma de l’extrême dépouillement : deuil de l’illusion, de la duplicité, du populisme, du Joker, du pharmakon et du blockbuster lui-même
N’étant rien, le Joker peut tout représenter : le bien comme le mal, le rire comme les larmes, il est le « pharmakon » qui symbolise le chaos comme la justice, le crime et sa réparation
Ce qui, en-dehors de toute règle, s’interpose dans les brèches de la famille, du lien conjugal, est brutal, excessif, traumatisant, destructeur
Entre la violente affirmation d’une souveraineté démesurée et la renonciation passive à toute décision, il y a complicité, voire équivalence, dont on ne peut s’extraire que par l’exigence d’un recul, d’un retrait
Le « cancer créatif », essentiellement anarchique, dangereux, létal, que ni l’art ni les pouvoirs ne peuvent stabiliser, appelle une transformation inouïe, à venir
On ne peut pas guérir du « cancer créatif », cette maladie mortelle qui produit toujours, sans raison, de nouveaux organes dont il faut faire le deuil
L’écran n’est pas extérieur au corps : il le parasite, le colonise, le soumet, le remplace, y ajoute toujours plus de dépendances et de sensations, et enfin survit à sa mort
L’effondrement d’un monde, réduit à sa pure représentation photographico-cinématographique, sans analyse, ni contexte, ni récit, ni signification
Il faut, pour porter la tristesse d’une fin d’amour, en garder la trace, l’archive, par une célébration
Souverain, le roi doit pouvoir, dans le domaine qu’il a choisi, affirmer sans compromis ni condition la loi qui lui est propre
Pour transgresser sans limite les lois et normes courantes, la violence nazie prend appui sur une autre violence, familiale, qui laisse libre cours à toutes les perversions
Quand s’arrête le mouvement de la différance, quand s’épuise la supplémentarité, alors l’artiste meurt, fasciné par la beauté – mais un autre artiste (Visconti) peut prendre la suite
Il y a en moi une violence élémentaire, incontrôlable, qui me fait haïr le lieu où j’habite, ma famille; ne pouvant y échapper, je n’ai pas d’autre choix que le meurtre
Une force inconnue, difficilement descriptible, confère à certains actes de certaines personnes une extériorité unique, une capacité à se distinguer du commun, à faire événement
Transformer son identité, brouiller les genres, cela n’efface ni la faute ni la dette, mais cela peut ouvrir, pour d’autres, un « pas au-delà », une épiphanie
Exhiber, par la mise en jeu d’un corps nu, les ressorts cachés d’une soumission qui épuise la personne, la vie sociale, anéantit l’avenir
Dans l’obscurité de la nuit, un autre amour peut surgir, imprévu, inespéré, inexprimé, d’une intensité inouïe, et disparaître aussitôt
De la tentative d’effacer tout ce qui fait le cinéma, il reste un film qui donne paradoxalement au cinéma son sens
On peut, en donnant lieu à un supplément pour l’autre, vivre plus que la vie
Un sentiment de culpabilité, enfermé dans un cycle de dette incontrôlé, peut conduire à l’injustice la plus radicale, effacer tout autre désir, toute autre éthique
Les souvenirs peuvent céder place à une autre mémoire, une archi-mémoire, une insaisissable pulsion amoureuse
Le cinéma du supplément se supplémente lui-même par supplémentation des mises en abyme – et ça marche
Où la contrainte économique et le pur plaisir (anéconomique) se confondent dans la même démesure, la même circularité fantasmagorique, qui est celle du cinéma
La tentation d’une mise en abyme autobiocinématographique sans fin, où le film ne renvoie qu’au film et le cinéma qu’au cinéma
Pris dans une confrontation stérile, sans raison ni projet, le jeune désorienté n’a d’autre choix que de se retirer lui aussi, sans raison, sans justification ni projet
Nul n’est épargné par l’impardonnable; il engendre une dette infinie, irréparable, que rien ne peut atténuer
Un événement évanescent, indéterminé, sans témoin crédible ni trace, on peut l’évoquer, en faire un film, un pur film, en multiplier les interprétations
« Je suis mort », dit-il en annulant tout engagement, tout devoir, toute dette, y compris la promesse amoureuse de celle qui voudrait le rejoindre en offrant, elle aussi, « ma mort »
Il ne suffit pas de vouloir atténuer ses fautes pour accéder au monde du sans-calcul, du sans-condition
Porter l’autre, en prendre le deuil, dans l’espoir de donner à ce qui aura été vécu une signification supplémentaire<<<;
Pour réussir dans la vie sociale, médiatique, on n’échappe pas aux stéréotypes mais on peut contribuer à leur déconstruction.
On peut, par le cinéma, fabriquer un ersatz de multivers par lequel s’instille le retour obsédant de la spectralité
Le vol d’argent n’annule ni la dette, ni l’économie; il faut pour cela des moments de gratuité qui ouvrent à la question de la liberté, sans la garantir
La circulation de l’argent est a-morale, irrationnelle; ce ne sont pas les marchandises qui circulent mais la faute, sans souci d’équilibre, d’éthique ni de justice
Un film ambivalent qui embellit l’ambivalence d’une jeune fille envers ce qu’elle a à subir.
On ne peut poursuivre la quête aporétique, chercher à posséder ce qu’on sait ne pas pouvoir posséder, qu’avec l’appui crypté de la religion.
Amalgamer les ingrédients les plus usuels du cinéma pour forclore toute interprétation rationnelle.
D’autres regards vivants, angoissés, désespérés, inouïs, inaccessibles, intraduisibles, émergent des marges de la ville.
Engagé·e dans la barbarie, je dois me venger contre moi-même jusqu’à l’étape ultime où « ma mort » emporte tout, y compris l’art, l’œuvre
(Se) laisser dire « Je suis morte » n’est pas sans risque ! Et si l’on vous croyait !
Entre deux gardiens de l’inconditionnel, la rencontre est aussi fatale qu’impossible.
Chaque jour ton corps change, tu es la même personne sans l’être et tu peux te réveiller tout·e autre.
Au cinéma, la présence des morts est illimitée : on ne peut que les sacrifier, dissimuler leur présence sous d’autres films, toujours plus.
Il n’y a dans le monde que des marionnettes identiques à la voix identique, sauf dans un moment d’exception, unique, déstabilisant, irrépétable.
Réitérer, par une alliance avec le film, l’alliance entre le mort et la vie.
Il aura fallu, pour entendre le secret dont l’autre témoigne, en passer par un « Je suis mort »
Une voix parle au nom du Rien (comme si tous les riens, la multiplicité des riens, ne pouvaient se rapporter qu’à ce Rien unique, en ruine)
À travers ses manifestes, l’art en personne déclare : « Sauf l’art, rien ne peut être sauvé »
Il faut, pour un deuil, partager la mémoire, la parole, le corps et les secrets du mort.
Entre une vie, un récit, une fiction, les bordures sont vivantes : incertaines, changeantes, imprévisibles.
En voulant me transformer, je redeviens ce que je suis et son contraire, mon propre pharmakon.
Une hétérobiographie où, autour du secret préservé de l’autre, prolifèrent les autobiographies.
Un film construit pour qu’on ne puisse en tirer aucune conclusion définitive : un thriller aporétique.
Un fil caché aussi ambigu qu’un pharmakon, qu’un hymen.
Un Christ déjà mort, sacrifié avant même sa naissance, anéantit l’avenir.
Une bouche-hymen qui mange, lèche, suce, jouit, parle, enseigne et pleure – sans réussir à vivre.
Ce qui fait la beauté irremplaçable du film et aussi sa faille, c’est que rien ne transpire du secret.
Il faut, pour survivre, prendre tous les rôles, se déguiser jusqu’à épuisement.
Il est « minuit à Paris » et la différance, insistante, fait craquer les couples.
Notre monde s’efface, s’arrête, ce qui arrive est obscur, inconnu, absolument indéterminé.
Ce qui, en plus d’un film, reste d’un tournage : le destin bouleversé des acteurs d’occasion.
L’ange vivant de la mort appelle le photographe, il lui donne accès à un monde sans deuil, ni devoir, ni dette.
Les traces des civilisations disparues appellent un deuil inarrêtable, une hantise infinie, qu’aucun savoir ne peut effacer.
Où le cycle de la dette est corrompu, ruiné, asservi aux commerces de la drogue et du cinéma.
Il s’est souvenu d’autres vies et d’autres mondes qu’il a portés; un autre vivant surviendra, peut-être, pour les porter à nouveau.
Quand l’amour se décide, la trace se retire, elle s’efface – il faut plonger dans l’incertitude.
Par sa perte absolue d’identité, la situation du prisonnier de guerre radicalise celle du soldat.
À distance de la vie courante, quotidienne, nous attend un événement archaïque, dangereux, catastrophique et pire encore : vide, sans signification ni contenu, une Bête effrayante
Qu’il est beau ce pharmakon! Qu’elle est belle cette apocalypse!
Il faut, pour surmonter sa culpabilité, faire l’expérience de l’impossible.
Esquisse d’une autre communauté où l’éthique des singularités prévaut sur la solidarité de groupe.
La souveraine innocence de l’amour inconditionnel face à la femme bafouée, envoûtante, souveraine elle aussi, qui calcule son plaisir.
On ne peut ni s’approprier une signature, ni usurper un nom innocemment.
Un frère mort, disparu, peut gouverner une vie et aussi induire une pensée spectrale, supplémentaire : la déconstruction.
« Je suis mort », souverainement mort, bien que vous puissiez encore voir mon corps, entendre ma parole et ma voix.
La version hip hop du lien communautaire (Geschlecht), son empoisonnement, sa corruption et sa dislocation.
Tout commence par un appel, « Je suis morte » : pour que le visage qui précède introduise à celui qui, déjà passé, reste à venir.
Tu répondras à l’autre, dans l’irresponsabilité la plus absolue.
Dans leur bulle, inutiles et irrécupérables, les héros de la scène rock sont plus moraux encore que la moralité.
Un film ne peut se présenter comme réel, virtuel, fantastique ou autre que parce qu’il est indiciel, indicatif
Au cinéma, il est impossible d’interpréter sa propre mort, mais on peut toujours la jouer.
Un monde clos dont les bords ne s’étendent qu’au prix d’une étrange et incontrôlable transformation.
Dans l’univers vide des lieux communs où tout et n’importe quoi peut être dit, il peut surgir de l’inattendu, de l’imprévisible, du nouveau.
Par sa voix, la chanteuse baroque réunit la vie, la mort, et l’au-delà de la vie, au-delà de l’être, plus que la vie.
Il aura fallu, pour que le fils prenne la place de l’antéchrist, carboniser le père, décapiter les femmes, réduire le logos en cendres.
Puisque le monde ne répond plus, je ne peux l’interroger qu’en parfait étranger, dans la plus pure inconditionnalité, par le langage du cinéma.
Un cinéma de l’être rapporté à ses conditions de production, sans rêve ni fantasme, englué dans ses propres contraintes.
Une désagrégation où, dans son opposition chimérique à l’animal, l’humain se déconstruit, jusqu’à la mort d’un enfant
Au vivant inconditionnellement étranger à « notre » monde (l’autiste), on ne peut répondre que par l’exception, elle aussi inconditionnelle : « Je dois te porter ».
Il faut un compte juste pour qu’une autre économie, un autre type d’alliance et d’altérité, se mette en place.
« Pour te venger, effacer tes dettes, il faut que tu t’en souviennes, même si, dans la pure présence, tu ne peux te souvenir que de rien ».