Catégorie : Retrait
Sirāt (Óliver Laxe, 2025)
Rencontrer la mort sur le chemin détourné d’une danse, une fête, une jouissance tragique
Miroirs n°3 (Christian Petzold, 2025)
On ne peut pas compenser la culpabilité d’avoir causé ou laissé venir la mort, mais on peut marcher, franchir un pas au-delà
Conceiving Ada (Lynn Hershman-Leeson, 1997)
Une mise en œuvre du principe analytique du biopic : « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire » à propos d’Ada Lovelace, dont l’essentiel reste secret
Legend of the Happy Worker (Duwayne Dunham, David Lynch, 2025)
Pour continuer à vivre, il faut renoncer à poser la question : « Pourquoi ? »
Une femme douce (Robert Bresson, 1969)
Un amour irraisonné, surgi inopinément, c’est un danger, une perte de contrôle qui peut être mortelle
Model Shop (Jacques Demy, 1969)
L’amour inconditionnel, ce n’est pas le début d’une histoire à venir, c’est la fin d’une histoire où rien n’est arrivé
Baal (Bertolt Brecht, 1919, Volker Schlöndorff, 1970)
Le rejet de toutes les valeurs par un personnage obscène, inqualifiable, fait advenir un amour irrésistible, injustifiable, intenable, qui ne trouve de réciprocité que dans la mort
Scénario (Jean-Luc Godard, Jean-Paul Battaggia, Fabrice Aragno, Nicole Brenez, 2024)
Anticipation d’un film dont la toute dernière partie reste à venir
Reflet dans un diamant mort (Hélène Cattet et Bruno Forzani, 2025)
Dans un monde sans enjeu ni avenir, il ne reste que des références, des compulsions, des poussées de fantasme, des traces de désir dont le sens se dérobe
Chime (Kiyoshi Kurosawa, 2024)
Un appel sans source, ni origine, ni signification, ni cause, ni enjeu – ne peut conduire qu’à la destruction : de soi et de l’autre
Quadrilogie de l’éthique à venir : La Double Vie de Véronique, Bleu, Blanc, Rouge (Krzysztof Kieślowski, 1991-94)
Pour ouvrir une autre éthique, il faut pleurer, implorer
Trois Couleurs – Bleu (Krzysztof Kieślowski, 1993)
Un deuil de soi ambigu, qui rend la singularité possible
Kaïro (Kiyoshi Kurosawa, 2001)
Chacun, solitaire face à l’Internet, peut se transformer en fantôme de l’autre côté de l’écran et disparaître de ce monde-ci (sauf exception)
Rumours (Guy Maddin, Evan et Galen Johnson, 2024)
Démocratie aporétique : un peuple absent, des décideurs qui ne décident de rien, l’effacement du politique
Demon (Marcin Wrona, 2015)
En exigeant une justice impossible à instaurer, le dibbouk interdit l’oubli
Le chant des Oiseaux (Albert Serra, 2008) (El Cant dels ocells)
Sur le chemin d’une foi qui ne repose sur rien d’autre que la foi – un « rien » suffisant pour fonder la croyance, la crédibilité
Honor de Cavalleria (Albert Serra, 2006)
Le monde qui s’en est allé nous laisse sans orientation : tu n’as pas de chemin pour moi, je n’ai pas de chemin pour toi, mais si tu me suis, nous irons au-delà
Black Dog (Guan Hu, 2024)
Pour effacer les dettes à l’égard d’autrui, il aura fallu que s’instaure une relation toute autre avec les vivants, les animaux, les personnes
Le Sacrifice (Andreï Tarkovski, 1986)
Evider un monde pour porter, sans que rien ne l’entrave, le commencement d’une parole
The Brutalist (Brady Corbet, 2024)
Il faut, pour aller vers sa propre destination, la violence de l’autre
Ma Vie Ma Gueule (Sophie Fillières, 2024)
Je n’ai rien d’autre à transmettre que ma singularité, ma personnalité, en tant qu’elle est unique, insubstituable
Spectateurs! (Arnaud Desplechin, 2024)
Témoigner par le cinéma de la faculté du cinéma à témoigner du réel
Here (Robert Zemeckis, 2024)
Il aura fallu un cadre unique, fixe, stable, pour faire du domicile le lieu où s’incarne la phrase : « Il n’y a pas de chez soi »
Profession Reporter (Michelangelo Antonioni, 1975)
Je ne peux prétendre qu’en vérité, « Je suis mort », qu’en prenant l’identité d’un vivant assez crédible pour dire : « il est mort », mais alors ce « il », ce doit être aussi moi
Noël à Miller’s Point (Christmas Eve at Miller’s Point, Tyler Taormina, 2024)
Pour pallier l’épuisement du « chez soi », on multiplie les ornements, les plats, les cadeaux et les chansons nostalgiques, mais ça ne marche pas, on n’est plus nulle part
2046 (Wong Kar-wai, 2004)
Quand le secret de l’amour est enfoui, définitivement inaccessible, il n’y a plus d’horizon, il ne reste que la confusion des plaisirs
In the Mood for Love (Wong Kar-wai, 2000)
Dans les bordures et les parerga démultipliés de l’amour, une jouissance singulière, incomparable, rencontre une tristesse sans appel
Le Grand Tour (Miguel Gomes, 2024)
Fuir par le voyage ouvre sur une extériorité factice : parodie du tourisme filmé, circularité, plaisir du pastiche, répétition de soi qui mène à l’effacement
Diamant Brut (Agathe Riedinger, 2024)
On ne peut valoriser « ce que je suis », la fiction identitaire du soi-même, que par une mystique de la reconnaissance de soi par autrui
Bande à Part (Jean-Luc Godard, 1964)
Un vol déraisonnable, sans logique, ni cohérence, ni crédibilité, générant sans condition un pur plaisir de cinéma
La Fièvre du Samedi Soir (John Badham, 1977)
Pour aller plus loin, au-delà du pont, il aura fallu qu’il se vide, qu’il évacue la charge mentale du narcissisme et de la danse qui entravait sa marche
Pulp Fiction (Quentin Tarantino, 1994)
Un film qui crée son propre monde qui n’est pas un monde, mais un montage cinématographique de situations, de citations et de dialogues, pour le salut du cinéma et de ses personnages
Blow Out (Brian de Palma, 1981)
Il ne reste du naufrage du politicien que la trace d’un cri, le deuil de la vérité, de la confiance
Conversation secrète (Francis Ford Coppola, 1974)
Il est dangereux de s’exposer au secret d’autrui, et encore plus dangereux de vouloir y intervenir
Blow Up (Michelangelo Antonioni, 1967)
On ne peut photographier, dérober les images d’autrui, les interpréter, sans engager sa responsabilité, sans mettre en jeu sa culpabilité
Joker, folie à deux (Todd Phillips, 2024)
Cinéma de l’extrême dépouillement : deuil de l’illusion, de la duplicité, du populisme, du Joker, du pharmakon et du blockbuster lui-même
Jeanne Dielman, 183 rue du Commerce, 1080 Bruxelles (Chantal Akerman, 1975)
Il faut, pour sauver le cycle répétitif de la vie, abolir tout événement qui viendrait le perturber, au risque de déclencher un événement plus grave encore, plus destructeur encore
Apocalypse Now (Francis Ford Coppola, 1979)
Entre la violente affirmation d’une souveraineté démesurée et la renonciation passive à toute décision, il y a complicité, voire équivalence, dont on ne peut s’extraire que par l’exigence d’un recul, d’un retrait
News from Home (Chantal Akerman, 1977)
Aux lettres d’amour maternelles, elle répond par la plus impersonnelle des répliques : une longue video postale
No Home Movie (Chantal Akerman, 2015)
Témoigner d’un silence, dans le lieu impersonnel, abstrait et vide du « non-chez-soi »
Romance (Catherine Breillat, 1998)
Il faut se retirer de l’amour conventionnel, conjugal, le vider, pour que commence le sexuel, le réel de la vie, l’existence, l’éthique
Mort à Venise (Luchino Visconti, 1971)
Quand s’arrête le mouvement de la différance, quand s’épuise la supplémentarité, alors l’artiste meurt, fasciné par la beauté – mais un autre artiste (Visconti) peut prendre la suite
« The Feeling that the Time for Doing Something has Passed » (Joanna Arnow, 2023) (La vie selon Anne)
Exhiber, par la mise en jeu d’un corps nu, les ressorts cachés d’une soumission qui épuise la personne, la vie sociale, anéantit l’avenir
In Water (Hong Sang-soo, 2023)
De la tentative d’effacer tout ce qui fait le cinéma, il reste un film qui donne paradoxalement au cinéma son sens
Ghost Tropic (Bas Devos, 2020)
Là où j’ai vécu, je ne suis plus chez moi, un cycle de vie s’épuise, du nouveau arrive de l’extérieur et s’impose à moi
Here (Bas Devos, 2023)
Une rencontre qui, dans un moment d’incertitude, préserve le mystère de l’autre, son secret, son énigme
Dancer in the Dark (Lars Von Trier, 2000)
Un sentiment de culpabilité, enfermé dans un cycle de dette incontrôlé, peut conduire à l’injustice la plus radicale, effacer tout autre désir, toute autre éthique
La Bête (Bertrand Bonello, 2024)
En-deçà du désir d’amour usuel, rassurant, un autre amour pourrait faire irruption : archaïque, dangereux, effrayant, catastrophique, et pire encore : aussi vide que la mort
Cobra Verde (Werner Herzog, 1987)
Un personnage hors-la-loi, un tournage hors norme, un film qui s’épuise avec son acteur dans la vacuité des stéréotypes
Le Deuxième Acte (Quentin Dupieux, 2024)
La tentation d’une mise en abyme autobiocinématographique sans fin, où le film ne renvoie qu’au film et le cinéma qu’au cinéma
De nos Jours (Hong Sang-soo, 2023)
Ni la vie, ni l’amour, ni la vérité n’ont de sens, pas plus que le jeu d’acteur qui les mime, alors il faut s’en retirer – c’est triste, on en pleure
Le Déserteur (Dani Rosenberg, 2023)
Pris dans une confrontation stérile, sans raison ni projet, le jeune désorienté n’a d’autre choix que de se retirer lui aussi, sans raison, sans justification ni projet
Crowrã (La Fleur de Buriti) (João Salaviza et Renée Nader Messora, 2023)
Entre voyeurisme et restitution, préserver la trace hybride de ce qui s’efface, flotte, se transforme, résiste, survit, renait
Muriel, le temps d’un retour (Alain Resnais, 1963)
Nul n’est épargné par l’impardonnable; il engendre une dette infinie, irréparable, que rien ne peut atténuer
L’année dernière à Marienbad (Alain Resnais, 1961)
Un événement évanescent, indéterminé, sans témoin crédible ni trace, on peut l’évoquer, en faire un film, un pur film, en multiplier les interprétations
L’amour à mort (Alain Resnais, 1984)
« Je suis mort », dit-il en annulant tout engagement, tout devoir, toute dette, y compris la promesse amoureuse de celle qui voudrait le rejoindre en offrant, elle aussi, « ma mort »
Le mal n’existe pas (Ryusuke Hamaguchi, 2023)
Il ne suffit pas de vouloir atténuer ses fautes pour accéder au monde du sans-calcul, du sans-condition
Les Carnets de Siegfried (Terence Davies, 2021)
Porter l’autre, en prendre le deuil, dans l’espoir de donner à ce qui aura été vécu une signification supplémentaire<<<;
The Universal Theory (Timm Kröger, 2023)
On peut, par le cinéma, fabriquer un ersatz de multivers par lequel s’instille le retour obsédant de la spectralité
L’Argent (Robert Bresson, 1983)
La circulation de l’argent est a-morale, irrationnelle; ce ne sont pas les marchandises qui circulent mais la faute, sans souci d’équilibre, d’éthique ni de justice
The Sweet East (Sean Price Williams, 2023)
La position unique d’une jeune fille qui s’évade de tous les conflits, erre entre les pouvoirs sans jamais se laisser instrumentaliser par aucun d’entre eux.
Le goût du ciment (Ziad Kalthoum, 2017)
Du vacarme de la guerre, on ne peut rien dire : elle ne répond pas.
The Third Murder (Hirokazu Kore-Eda, 2017)
Le jugement final, c’est que nul ne peut témoigner de la vérité.
Planétarium (Rebecca Zlotowski, 2016)
Au cinéma, la présence des morts est illimitée : on ne peut que les sacrifier, dissimuler leur présence sous d’autres films, toujours plus.
La mort de Louis XIV (Albert Serra, 2016)
Seul un autre peut dire, à la place du « je » souverain : « Moi, je suis mort ».
L’ornithologue (João Pedro Rodrigues, 2016)
Il aura fallu, pour entendre le secret dont l’autre témoigne, en passer par un « Je suis mort »
Le secret de la chambre noire (Kiyoshi Kurosawa, 2016)
En photographiant ceux qu’on aime, on les tue, et ce meurtre déclenche une cascade de culpabilité, de folie et de mort
L’Éloge du rien (Boris Mitić, 2017)
Une voix parle au nom du Rien (comme si tous les riens, la multiplicité des riens, ne pouvaient se rapporter qu’à ce Rien unique, en ruine)
Paterson (Jim Jarmusch, 2016)
La poésie qui reste, c’est le don d’une page vierge où écrire son secret
Manifesto (Julian Rosefeldt, 2015)
À travers ses manifestes, l’art en personne déclare : « Sauf l’art, rien ne peut être sauvé »
Vers l’autre rive (Kiyoshi Kurosawa, 2015)
Il faut, pour un deuil, partager la mémoire, la parole, le corps et les secrets du mort.
Eureka (Lisandro Alonso, 2023)
Pour se dégager du monde ruiné, disloqué, détruit, des Indiens d’aujourd’hui, il faut se dissocier du présent, ouvrir des possibilités inconnues, à venir.
Senses 1 & 2 (Ryusuke Hamaguchi, 2015)
Il reste aux femmes qui se retirent de la domination masculine à vivre dans l’incertitude.
Faute d’amour (Andreï Zviaguintsev, 2017)
« Puisque je suis déjà mort, je n’ai pas d’autre solution que de disparaître ».
Camille Claudel 1915 (Bruno Dumont, 2012)
Ce qui fait la beauté irremplaçable du film et aussi sa faille, c’est que rien ne transpire du secret.
Le Grand Soir (film de Kervern et Delépine, 2012)
Un jour vide, désespéré, point d’aboutissement d’un monde et d’un cinéma sans contenu ni transmission.
Corps et âme (Ildiko Enyedi, 2017)
Il faut choisir librement ce qui, déjà, en secret, habite nos rêves.
Melancholia (Lars von Trier, 2011)
il y a dans ce film quelque chose de nazi : l’entrée en scène d’un monde absolument dépourvu d’avenir
Le cheval de Turin (Béla Tarr, 2011)
Notre monde s’efface, s’arrête, ce qui arrive est obscur, inconnu, absolument indéterminé.
La Bête dans la Jungle (Patric Chiha, 2023)
Une singulière catastrophe amoureuse, incompréhensible, exceptionnelle et terrifiante, fait advenir une autre alliance, immaîtrisable et inconnue, entre la mort et la vie.
Leave no trace (Debra Granik, 2018)
La fille a le droit de se libérer d’une exigence inconditionnelle, absolue, à laquelle le père ne peut pas se soustraire.
Belle Épine (Rebecca Zlotowski, 2010)
Se faire orpheline, exposée au danger, pour que s’invente une autre alliance.
L’étreinte du serpent (Ciro Guerra, 2015)
Les traces des civilisations disparues appellent un deuil inarrêtable, une hantise infinie, qu’aucun savoir ne peut effacer.
Asako I et II (Ryūsuke Hamaguchi, 2018)
Quand l’amour se décide, la trace se retire, elle s’efface – il faut plonger dans l’incertitude.
Hatufim (série israëlienne de Guideon Raff, 2010-2012)
Par sa perte absolue d’identité, la situation du prisonnier de guerre radicalise celle du soldat.
La Bête dans la Jungle (Benoît Jacquot, 1988)
À distance de la vie courante, quotidienne, nous attend un événement archaïque, dangereux, catastrophique et pire encore : vide, sans signification ni contenu, une Bête effrayante
My Joy (Sergueï Loznitsa, 2010)
Mal radical : un pouvoir qui oblige à décliner son identité, jusqu’à la perte totale du nom.
In my room (Ulrich Köhler, 2018)
Pour ouvrir un autre monde, à venir, il ne faut pas reproduire ce monde-ci.
Capharnaüm (Nadine Labaki, 2018)
On ne peut répondre à la cruauté, inexplicable et injustifiable, que par un au-delà de la cruauté, tout aussi inexplicable et injustifiable.
Un Secret (Claude Miller, 2007)
Un frère mort, disparu, peut gouverner une vie et aussi induire une pensée spectrale, supplémentaire : la déconstruction.
Sleep well (Jean-Luc Nancy, 2018)
« Je suis mort », souverainement mort, bien que vous puissiez encore voir mon corps, entendre ma parole et ma voix.
Survival of Kindness (Rolf de Heer, 2023)
Dans un monde sans salut possible, sans rédemption, sans promesse, sans avenir, il n’y a pas d’extériorité, on ne peut que revenir dans sa cage.
Climax (Gaspar Noé, 2018)
La version hip hop du lien communautaire (Geschlecht), son empoisonnement, sa corruption et sa dislocation.
I’m not there » (Todd Haynes, 2007)
Complaisamment j’exhibe toutes les facettes de mon image, afin de protéger mon secret.
La vengeance d’une femme (Jacques Doillon, 1989)
L’homme d’aujourd’hui, ce fantôme, ne sert d’appui que si sa présence s’évanouit.
Heureux comme Lazzaro (Alice Rohrwacher, 2018)
Tu répondras à l’autre, dans l’irresponsabilité la plus absolue.
En suivant la main droite de Kim Novak in « Kiss me stupid » (Pierre Bismuth, 2005)
En se projetant sur d’autres surfaces, la trace d’un film parasite notre perception.
Le lion est mort ce soir (Nobuhiro Suwa, 2018)
Au cinéma, il est impossible d’interpréter sa propre mort, mais on peut toujours la jouer.