La La Land (Damien Chazelle, 2016)
Entre deux gardiens de l’inconditionnel, la rencontre est aussi fatale qu’impossible.
Entre deux gardiens de l’inconditionnel, la rencontre est aussi fatale qu’impossible.
« Dans sa folie, ma mère m’a fait le plus beau des dons : l’exigence d’une responsabilité infinie ».
Un cumul de dédoublements, d’incertitudes, de flottements, pour un film sans colonne vertébrale qui circule entre les genres
Chaque jour ton corps change, tu es la même personne sans l’être et tu peux te réveiller tout·e autre.
Au cinéma, la présence des morts est illimitée : on ne peut que les sacrifier, dissimuler leur présence sous d’autres films, toujours plus.
Il n’y a dans le monde que des marionnettes identiques à la voix identique, sauf dans un moment d’exception, unique, déstabilisant, irrépétable.
Déjà en deuil de lui-même, il anticipait sa seule survie possible : résister, par un film, à la pulsion de mort
Réitérer, par une alliance avec le film, l’alliance entre le mort et la vie.
Seul un autre peut dire, à la place du « je » souverain : « Moi, je suis mort ».
Par-delà la vengeance, la destruction des corps, des croyances et des superstitions ennemis, s’ouvre un avenir sans ressentiment ni compensation, sans désir de puissance, ni viril ni phallique.
Il aura fallu, pour entendre le secret dont l’autre témoigne, en passer par un « Je suis mort »
En photographiant ceux qu’on aime, on les tue, et ce meurtre déclenche une cascade de culpabilité, de folie et de mort
Une voix parle au nom du Rien (comme si tous les riens, la multiplicité des riens, ne pouvaient se rapporter qu’à ce Rien unique, en ruine)
La poésie qui reste, c’est le don d’une page vierge où écrire son secret
L’archi-amour, genre d’amour dont il est impossible de faire son deuil, est plus réel, plus crédible encore que la réalité
À la jonction, excessivement calculable, du mal radical et du politique
Un film qui, pour se faire Œuvre de cinéma, doit être lu, entendu, expliqué, transmis, interprété, admiré.
À travers ses manifestes, l’art en personne déclare : « Sauf l’art, rien ne peut être sauvé »
« Dès que je m’efforce de la respecter, la loi défaille »
Il faut, pour un deuil, partager la mémoire, la parole, le corps et les secrets du mort.
Pour se dégager du monde ruiné, disloqué, détruit, des Indiens d’aujourd’hui, il faut se dissocier du présent, ouvrir des possibilités inconnues, à venir.
Les décisions majeures s’imposent d’elles-mêmes; aucun calcul, raisonnement ni intérêt ne suffit à les justifier.
Il reste aux femmes qui se retirent de la domination masculine à vivre dans l’incertitude.
« Puisque je suis déjà mort, je n’ai pas d’autre solution que de disparaître ».
Entre une vie, un récit, une fiction, les bordures sont vivantes : incertaines, changeantes, imprévisibles.
En voulant me transformer, je redeviens ce que je suis et son contraire, mon propre pharmakon.
Pour quiconque, il peut arriver qu’une décision souveraine, inconditionnelle, invite à la mutation, la transformation, l’hybridation.
Une hétérobiographie où, autour du secret préservé de l’autre, prolifèrent les autobiographies.
Un film construit pour qu’on ne puisse en tirer aucune conclusion définitive : un thriller aporétique.
Aucun mur, aucune indifférence, aucun déni, aucune stratégie d’évitement, ne peut empêcher la contamination par la cruauté, le meurtre de masse.
Un fil caché aussi ambigu qu’un pharmakon, qu’un hymen.
Même en l’absence de deuil, je porte en moi le monde de l’autre : « C’est l’éthique même ».
Un Christ déjà mort, sacrifié avant même sa naissance, anéantit l’avenir.
Pour chaque jeune fille, se pose pour la première fois, à nouveaux frais et singulièrement, l’énigme de la sexualité.
Par les brèches de la famille, les fissures de la communauté, s’insinue une extériorité irréductible.
Une bouche-hymen qui mange, lèche, suce, jouit, parle, enseigne et pleure – sans réussir à vivre.
Je suis double mais l’autre en moi, mon jumeau, est déjà mort » – un dédoublement qui ne franchit pas la limite du « deux.
Ce qui fait la beauté irremplaçable du film et aussi sa faille, c’est que rien ne transpire du secret.
« No more money, no more sex, no more power, no more future » – Il n’en faut pas moins pour interrompre le cycle.
Vous êtes tous des criminels, je veux bien vivre parmi vous, mais je ne vous ferai pas d’enfants.
Il faut, pour survivre, prendre tous les rôles, se déguiser jusqu’à épuisement.
Une tragédie hétéro-thanato-graphique : « Tu es en deuil de toi-même, il faut que je te porte ».
Ce n’est pas pour ses propres fautes qu’on paie, mais pour celles d’un autre.
Un jour vide, désespéré, point d’aboutissement d’un monde et d’un cinéma sans contenu ni transmission.
Pour échapper au jugement, il ne suffit pas que l’autre prenne sur lui tout le poids de la faute.
Il est « minuit à Paris » et la différance, insistante, fait craquer les couples.
Il faut choisir librement ce qui, déjà, en secret, habite nos rêves.
il y a dans ce film quelque chose de nazi : l’entrée en scène d’un monde absolument dépourvu d’avenir
Notre monde s’efface, s’arrête, ce qui arrive est obscur, inconnu, absolument indéterminé.
Une singulière catastrophe amoureuse, incompréhensible, exceptionnelle et terrifiante, fait advenir une autre alliance, immaîtrisable et inconnue, entre la mort et la vie.
Ce qui, en plus d’un film, reste d’un tournage : le destin bouleversé des acteurs d’occasion.
L’ange vivant de la mort appelle le photographe, il lui donne accès à un monde sans deuil, ni devoir, ni dette.
La fille a le droit de se libérer d’une exigence inconditionnelle, absolue, à laquelle le père ne peut pas se soustraire.
Se faire orpheline, exposée au danger, pour que s’invente une autre alliance.
Les traces des civilisations disparues appellent un deuil inarrêtable, une hantise infinie, qu’aucun savoir ne peut effacer.
Où le cycle de la dette est corrompu, ruiné, asservi aux commerces de la drogue et du cinéma.
Il s’est souvenu d’autres vies et d’autres mondes qu’il a portés; un autre vivant surviendra, peut-être, pour les porter à nouveau.
La collision de mondes clos n’ouvre ni avenir, ni survie.
Quand l’amour se décide, la trace se retire, elle s’efface – il faut plonger dans l’incertitude.
Par sa perte absolue d’identité, la situation du prisonnier de guerre radicalise celle du soldat.
À distance de la vie courante, quotidienne, nous attend un événement archaïque, dangereux, catastrophique et pire encore : vide, sans signification ni contenu, une Bête effrayante
Qu’il est beau ce pharmakon! Qu’elle est belle cette apocalypse!
Il faut, pour surmonter sa culpabilité, faire l’expérience de l’impossible.
Mal radical : un pouvoir qui oblige à décliner son identité, jusqu’à la perte totale du nom.
Esquisse d’une autre communauté où l’éthique des singularités prévaut sur la solidarité de groupe.
Une ville comme Shanghaï n’a pas une histoire, mais des histoires divergentes dont aucune ne conduit au présent d’aujourd’hui.
Pour ouvrir un autre monde, à venir, il ne faut pas reproduire ce monde-ci.
Malgré les échecs, les refus, les démentis, persiste une confiance mystérieuse en l’autre.
On ne peut répondre à la cruauté, inexplicable et injustifiable, que par un au-delà de la cruauté, tout aussi inexplicable et injustifiable.
La souveraine innocence de l’amour inconditionnel face à la femme bafouée, envoûtante, souveraine elle aussi, qui calcule son plaisir.
On ne peut ni s’approprier une signature, ni usurper un nom innocemment.
Un frère mort, disparu, peut gouverner une vie et aussi induire une pensée spectrale, supplémentaire : la déconstruction.
« Je suis mort », souverainement mort, bien que vous puissiez encore voir mon corps, entendre ma parole et ma voix.
Dans un monde sans salut possible, sans rédemption, sans promesse, sans avenir, il n’y a pas d’extériorité, on ne peut que revenir dans sa cage.
La version hip hop du lien communautaire (Geschlecht), son empoisonnement, sa corruption et sa dislocation.
Complaisamment j’exhibe toutes les facettes de mon image, afin de protéger mon secret.
L’homme d’aujourd’hui, ce fantôme, ne sert d’appui que si sa présence s’évanouit.
Tout commence par un appel, « Je suis morte » : pour que le visage qui précède introduise à celui qui, déjà passé, reste à venir.
Rien ne peut arrêter une femme qui veut démontrer l’impuissance masculine;
Tu répondras à l’autre, dans l’irresponsabilité la plus absolue.
Pour ceux qui ont vécu la Shoah, la vie s’est arrêtée : il ne reste plus que des survivants.
L’innocence exige une réparation aussi grandiose ou monstrueuse que la faute – et aussi le retour à l’ordre et à la loi.
En se projetant sur d’autres surfaces, la trace d’un film parasite notre perception.
Dans leur bulle, inutiles et irrécupérables, les héros de la scène rock sont plus moraux encore que la moralité.
Un effacement radical de la voix singulière sous l’omniprésence du corps et du son.
Un film ne peut se présenter comme réel, virtuel, fantastique ou autre que parce qu’il est indiciel, indicatif
Ne craignez pas les catastrophes, car nous sommes protégés par une immunité quasi-miraculeuse, qui tombe directement du ciel.
N’étant ni mort ni vivant, le disparu ne s’efface jamais; nul ne peut limiter sa présence, ni empêcher qu’elle se renouvelle.
Au cinéma, il est impossible d’interpréter sa propre mort, mais on peut toujours la jouer.
Pour se sauver soi-même, il est préférable de pardonner : punir l’autre, ce serait se punir soi-même et s’interdire la transgression
Un monde clos dont les bords ne s’étendent qu’au prix d’une étrange et incontrôlable transformation.
Avec le nazisme, il n’y a plus ni père ni fils, ni mère ni enfants, mais une seule chair qui ne peut que vivre et disparaître en même temps.
Dans l’univers vide des lieux communs où tout et n’importe quoi peut être dit, il peut surgir de l’inattendu, de l’imprévisible, du nouveau.
Par sa voix, la chanteuse baroque réunit la vie, la mort, et l’au-delà de la vie, au-delà de l’être, plus que la vie.
Il aura fallu, pour que le fils prenne la place de l’antéchrist, carboniser le père, décapiter les femmes, réduire le logos en cendres.