Faute d’amour (Andreï Zviaguintsev, 2017)
« Puisque je suis déjà mort, je n’ai pas d’autre solution que de disparaître ».
« Puisque je suis déjà mort, je n’ai pas d’autre solution que de disparaître ».
En voulant me transformer, je redeviens ce que je suis et son contraire, mon propre pharmakon.
Une hétérobiographie où, autour du secret préservé de l’autre, prolifèrent les autobiographies.
Un film construit pour qu’on ne puisse en tirer aucune conclusion définitive : un thriller aporétique.
Même en l’absence de deuil, je porte en moi le monde de l’autre : « C’est l’éthique même ».
Un Christ déjà mort, sacrifié avant même sa naissance, anéantit l’avenir.
Je suis double mais l’autre en moi, mon jumeau, est déjà mort » – un dédoublement qui ne franchit pas la limite du « deux.
« No more money, no more sex, no more power, no more future » – Il n’en faut pas moins pour interrompre le cycle.
Vous êtes tous des criminels, je veux bien vivre parmi vous, mais je ne vous ferai pas d’enfants.
Il faut, pour survivre, prendre tous les rôles, se déguiser jusqu’à épuisement.
Une tragédie hétéro-thanato-graphique : « Tu es en deuil de toi-même, il faut que je te porte ».
Ce n’est pas pour ses propres fautes qu’on paie, mais pour celles d’un autre.
Un jour vide, désespéré, point d’aboutissement d’un monde et d’un cinéma sans contenu ni transmission.
Il faut choisir librement ce qui, déjà, en secret, habite nos rêves.
il y a dans ce film quelque chose de nazi : l’entrée en scène d’un monde absolument dépourvu d’avenir
Une singulière catastrophe amoureuse, incompréhensible, exceptionnelle et terrifiante, fait advenir une autre alliance, immaîtrisable et inconnue, entre la mort et la vie.
L’ange vivant de la mort appelle le photographe, il lui donne accès à un monde sans deuil, ni devoir, ni dette.
La fille a le droit de se libérer d’une exigence inconditionnelle, absolue, à laquelle le père ne peut pas se soustraire.
Se faire orpheline, exposée au danger, pour que s’invente une autre alliance.
Les traces des civilisations disparues appellent un deuil inarrêtable, une hantise infinie, qu’aucun savoir ne peut effacer.
Il s’est souvenu d’autres vies et d’autres mondes qu’il a portés; un autre vivant surviendra, peut-être, pour les porter à nouveau.
Quand l’amour se décide, la trace se retire, elle s’efface – il faut plonger dans l’incertitude.
Il faut, pour surmonter sa culpabilité, faire l’expérience de l’impossible.
Une ville comme Shanghaï n’a pas une histoire, mais des histoires divergentes dont aucune ne conduit au présent d’aujourd’hui.
On ne peut ni s’approprier une signature, ni usurper un nom innocemment.
Un frère mort, disparu, peut gouverner une vie et aussi induire une pensée spectrale, supplémentaire : la déconstruction.
« Je suis mort », souverainement mort, bien que vous puissiez encore voir mon corps, entendre ma parole et ma voix.
Dans un monde sans salut possible, sans rédemption, sans promesse, sans avenir, il n’y a pas d’extériorité, on ne peut que revenir dans sa cage.
La version hip hop du lien communautaire (Geschlecht), son empoisonnement, sa corruption et sa dislocation.
Complaisamment j’exhibe toutes les facettes de mon image, afin de protéger mon secret.
L’homme d’aujourd’hui, ce fantôme, ne sert d’appui que si sa présence s’évanouit.
Tout commence par un appel, « Je suis morte » : pour que le visage qui précède introduise à celui qui, déjà passé, reste à venir.
Pour ceux qui ont vécu la Shoah, la vie s’est arrêtée : il ne reste plus que des survivants.
Un film ne peut se présenter comme réel, virtuel, fantastique ou autre que parce qu’il est indiciel, indicatif
N’étant ni mort ni vivant, le disparu ne s’efface jamais; nul ne peut limiter sa présence, ni empêcher qu’elle se renouvelle.
Au cinéma, il est impossible d’interpréter sa propre mort, mais on peut toujours la jouer.
Un monde clos dont les bords ne s’étendent qu’au prix d’une étrange et incontrôlable transformation.
Avec le nazisme, il n’y a plus ni père ni fils, ni mère ni enfants, mais une seule chair qui ne peut que vivre et disparaître en même temps.
Par sa voix, la chanteuse baroque réunit la vie, la mort, et l’au-delà de la vie, au-delà de l’être, plus que la vie.
Il aura fallu, pour que le fils prenne la place de l’antéchrist, carboniser le père, décapiter les femmes, réduire le logos en cendres.
Une désagrégation où, dans son opposition chimérique à l’animal, l’humain se déconstruit, jusqu’à la mort d’un enfant
Dans une vacuité absolue, il cherche en elle un secret inavouable – mais il n’y en a pas.
« Pour te venger, effacer tes dettes, il faut que tu t’en souviennes, même si, dans la pure présence, tu ne peux te souvenir que de rien ».
Quand le mal radical répond, c’est dans la langue intraduisible d’un sacrifice terrible, inaudible, impardonnable
Les pleurs du père déchu en deuil de sa culture, sa sophistication, son théâtre, son épouse, son fils et aussi de lui-même, en tant qu’homme, sans rien connaître de ce qu’il adviendra
Il n’y a pas de limite au parasitage, pas de ligne protectrice qui ne puisse être franchie.
Une force excessive, inquiétante, souveraine, s’impose sans considération ni pour la vie, ni pour la mort, ni pour la crédibilité du récit.
Pour accéder aux souvenirs, il faut pousser toujours plus loin le mouvement de la mimesis, multiplier les dédoublements.
Monstrueuse la tragédie d’un fils naturel dont on attend qu’il assassine une mère déjà morte, un père déjà suicidé, au prix de sa vie.
« Il faut mourir vivant »dit la photo-reporter, en laissant à d’autres les traces de son parcours, et un film.
Le souverain de banlieue, ce jeune (lionceau) incontrôlable, introduit l’imprévisible, l’incalculable, dans le lieu clos de la cité.
S’arrêter sur le pont qui mène au fantasme, au rêve, en passant par la photographie.
« Ce que Lola veut, Lola l’obtient »; un siècle plus tard, elle aura suscité son film porté par un célèbre réalisateur, aussi excessif et démesuré qu’elle-même.
Pour résister aux pulsions de mort, de cruauté, il faut la pure gratuité de l’ornement féminin.
Ni fiction, ni documentaire, ni théâtre, ni cinéma, ni genre déterminé – un cinéma aporétique contaminé par la mort.
Dernier roman, dernier film, dernier producteur, dernière scène, et tout reste dans l’inachèvement.
Un film qui démontre l’impossibilité de l’art, et creuse son tombeau.
L’argent-voyou, qui semble exonéré et exonérer de toute dette, appelle la chance et porte la malédiction.
Entre l’œuvre, la vie, la mort, il faut que la frontière reste indécise, indéterminée, infranchissable.
S’ensommeiller, se retirer du monde, renoncer à l’archive, affirmer son unicité pour finalement, enfin, mourir vivant.
Il faut, pour faire son deuil, spectraliser le mort, car porter un cadavre en soi, avec soi, est mortifère ».
Qui parasite l’autre prend le risque d’être parasité par l’autre.
Pour faire un couple comme pour faire un film, il faut multiplier les deuils, porter les endeuillés.
Pour s’emparer des possessions des hommes, dans son absolue souveraineté, la femme laisse libre cours à ses pulsions, y compris épistémiques
Quand le consentement meurtrier, banalisé, ne dérange plus personne, la responsabilité devient un danger mortel.
Là où ça décide, dans l’avenir, bénédiction et malédiction se confondent.
Il faut, pour vivre, faire son deuil de l’amour d’avant l’amour, l’archi-amour.
Refuser la peine de mort exige un engagement inconditionnel démesuré, illimité, incompatible avec quelque transaction que ce soit.
Il aura fallu dire « Je suis mort » pour que commence la vie en plus, la vie supplémentée par l’œuvre, plus que la vie.
Il suffit d’une goutte de sperme pour que s’efface la fiction d’une appartenance pure, indéniable.
Principe d’hospitalité : « Je voudrais apprendre à vivre, enfin ».
Pour que du nouveau émerge, il faut une désynchronisation, un décalage, qui relance la dialectique entre l’Autrefois et le Maintenant.
On ne peut pas se préparer à la mort, tout ce qu’on peut faire, c’est en exiger toujours plus, plus encore que la vie.
Est star celui qui peut mourir sans mourir, faire du cinéma sans faire du cinéma, signer un film en le déconstruisant.
L’œil-caméra comme système d’aveuglement, qui ne fonctionne que pour mettre à mort ce qu’il filme.
« Viens! » dit le lieu sans vérité, sans contenu, qui en appelle aux croyances, aux mouvements, sans les déterminer (Khôra).
Pour légitimer la nation chilienne, il aura fallu qu’un métis témoigne de l’extermination des Indiens, avant qu’il ne soit effacé lui aussi.
Pour se sauver, il faut affronter l’impardonnable.
Mourir déjà mort (ou presque), sans laisser de trace, altère la possibilité du deuil.
On ne peut espérer communiquer avec un mort qu’à travers un dispositif de mémoire, un artefact, mais c’est impossible, ça ne marche pas, le récit reste inachevé.
Perpétuer le deuil comme tel, en jouir, c’est le nier : en s’appropriant les morts, on exerce sur eux pouvoir et souveraineté.
Pour prouver la théorie freudienne qu’il enseigne, le professeur fait un rêve qui parodie cette théorie, en même temps qu’il parodie le film noir.
Pour un crime sans borne ni mesure, il n’y a pas d’expiation ni de compensation possible.
En laissant à la femme silencieuse son lieu, son pouvoir, on peut se dégager des rôles, des stéréotypes sexuels et sociaux.
« Il faut que je te porte », dit la terre, et tu répéteras le cycle.
Pour un homme, faire jouir une femme est un plaisir sans limite; on peut tout donner pour cela, y compris son sexe, sa vie
Il aura fallu qu’elle soit réduite à la fixité d’un portrait, prise pour morte, pour qu’elle rencontre enfin l’homme pur, intègre : le policier.
Je dois m’immoler par le feu, j’y suis poussé, incité sans but, sans raison, justification ni condition.
Plus la transgression est excessive, et plus elle reconduit le cycle de la dette.
Il vaut mieux, pour se dégager du deuil, choisir le pas de côté qui éloigne du réel.
Où une fiction circulaire scelle l’alliance autobiographique du cinéma avec un « je ».
Là où des cadavres se nourrissent de cadavres, ça ne fait plus monde, c’est sans monde.
Mourir une deuxième fois, vivante, pour une autre alliance, plus porteuse d’avenir.