Tár (Todd Field, 2022)
Un pouvoir uniquement fondé sur l’affirmation charismatique de soi-même se met dans la dépendance absolue d’autrui.
Un pouvoir uniquement fondé sur l’affirmation charismatique de soi-même se met dans la dépendance absolue d’autrui.
Ce qui reste silencieux ne peut s’écrire que dans une langue étrangère, intraduisible.
Une grand-mère pour toujours sur le point de mourir, sans jamais franchir le pas.
Il aura fallu, pour commencer à vivre, un avertissement supplémentaire : tu te dois à la mort.
Un parcours dans les marges où la vie courante, sentimentale-économique, se dissout, s’efface, s’éclipse.
Accueillir l’étranger, c’est ce qui peut déclencher la haine la plus insensée, le rejet le plus délirant.
Du seul moment qui compte, la naissance, on ne peut rien dire ni rien se remémorer.
En racontant la vie d’un autre, je transgresse l’impossibilité de raconter ma propre mort.
En s’affirmant performative, la déclaration du transgenre, du non-binaire, appelle une confirmation publique, identitaire.
Jouir d’un vol, dans un désintéressement absolu, pour affirmer simultanément, sans les dissocier, son innocence et sa culpabilité.
Quand s’effondrent les limites, les parerga, rien ne peut arrêter la violence originelle, inouïe.
Il faut soit sacrifier les mères pour laisser vivre les filles, soit sacrifier les filles pour que les mères puissent vivre selon leur désir.
La pure souveraineté du mal radical, sans justification ni explication, face à la pure souveraineté du rejet de la peine de mort.
Comment écrire ce qui ne peut se dire ni en paroles, ni en images, mais seulement sur du vent, dans l’évanescence d’un film.
Quand l’ancrage territorial et temporel du cinéma risque de s’effacer, il faut attacher sa ceinture et continuer.
Un film sur l’amour : pas l’amour fou, mais l’amour en tant que fantasme, folie.
Pas d’union d’un couple, d’amour, de famille, sans se confronter aux traditions et à la mort.
Dans les marges périphériques où le monde se perd, il n’y a personne pour me porter.
Une aventure vécue en bordure parergonale du monde, dans le manque creusé par une disparition.
Un regard dans le film en appelle au-delà du film à un autre regard qui témoigne d’une alliance oto-biographique.
Une pure amitié qui ne repose sur aucune justification, sur aucun intérêt commun.
En jouant son propre effacement, le réalisateur revendique et assume sa responsabilité.
Aporie de l’amour inconditionnel : en exigeant le sacrifice de tout autre intérêt, il se soumet à une condition irréalisable, mortifère.
Dans un monde qui se déconstruit, il est tentant de se ruer sur les plaisirs, au risque d’aggraver le mal.
La nostalgie d’une extériorité impossible, dont il faut faire son deuil.
Un monde s’en est allé, il n’en reste rien d’autre que cette femme, la folle, l’exclue, qui ébranle à jamais « notre » monde.
Un film singulier qui affirme que rien dans l’œuvre d’art n’est singulier, exceptionnel.
À l’acmé de la violence, du calcul politique qui voue Aldo Moro au sacrifice, se pose la question de l’au-delà du pouvoir, du politique.
Le cinéma est un art discrépant, où sons, images, significations, etc., quoique simultanés, ne parviennent pas à s’accorder.
Il n’y a pas qu’une puissance souveraine de l’artiste, mais deux, qui ne peuvent que naître et mourir en même temps
Nettoyer, dans un pur linceul, la crainte et la culpabilité.
Il n’est d’art pur que régi par une puissance souveraine ayant tous les droits, y compris de détruire les conditions de sa survie.
Brouiller les frontières de la folie : une tentation de réalisateur, nécessaire, souhaitable, utopique et irréalisable.
Et le spectre déclara à Madame Muir : “Il faut que je te porte”.
Un cinéma brut pour un art horizontal, au plus proche de la terre et des tracas quotidiens.
Nul n’est innocent, il y a toujours un gouffre dans lequel chuter.
Allemands et Polonais se combattent, se font la guerre, échangent leurs rôles, et finalement, c’est le Juif qui est sacrifié.
Quand le monde se délite, il faut préserver l’ultime courage : porter l’enfant à naître.
Pour qui aime sans calcul ni condition, sans exiger aucune réponse, un coup peut être ressenti comme un baiser.
En portant l’enfant mort, le voyant fait le deuil de ce que lui-même a été.
Les nazis sont arrivés au pouvoir car le vieux monde s’était déjà effondré.
Mettre le leurre cinématographique en œuvre tout en le tenant à distance, le démontant et le déconstruisant.
Une auto-hétéro-bio-thanato-graphie féminine où chaque femme semble jouer le rôle d’une autre, jusqu’à l’épuisement.
Quand, dans l’échange d’argent, rien n’est « normal », rien n’est impossible, pas même l’événement qui change les règles.
Détourner le contexte colonial pour glorifier le sentiment amoureux.
Le cameraman le plus crédible, le plus digne d’amour, c’est celui qui filme pour rien, sans projet ni intention (le singe).
Au-delà de la tragédie, du destin (œdipien), il est possible de transmuer la dette.
Une cruauté gratuite qui s’exerce sans conflit, sans lutte de pouvoir, sans faute, sans intérêt, sans responsabilité ni culpabilité.
Il vaut mieux accompagner, porter, l’inarrêtable hybridation du monde.
Il n’y a rien à attendre de la différence des sexes.
Le premier film parlant a pour thème la dissociation voix/corps/identité; il voudrait faire croire à leur coïncidence, si elle était possible.
Exiger l’amour inconditionnel du sans-nom, c’est impossible.
Un film où l’acquiescement à l’autre déclenche le mouvement gratuit, imprévisible, de l' »aimance ».
Avec la perfection du film muet, convergent l’apologie de l’amour et celle de la beauté adhérente en art.
L’utopiste, qui veut tout prévoir, n’attend plus rien de l’avenir.
Pour devenir soi, unique entre tous, laisser venir l’hybride dans son corps.
Enfermé dans un lieu clos, hors-monde, inhabitable, il le transforme en déchetterie où il s’auto-détruit.
Il faut, quand le phallocentrisme se désagrège, « rester vertical » sans la prothèse d’une érection, sans le prétexte d’un ordre social.
Au bout du compte, le dernier mot appartient au cinéma, car malgré tout, il porte encore la promesse.
Un fantasme de flic où les fautes, les crimes et les trahisons se déplacent, se croisent et se neutralisent, sans jamais s’annuler.
Le regard d’une petite fille sur une hospitalité qui oblige, dans un monde où le nouveau-né doit être abandonné.
On ne peut défendre un « chez soi » contre la puissance phallique qu’en participant de cette puissance.
Pour faire la charité, il faudrait déjà être chez soi, et pour offrir l’hospitalité, il faudrait déjà accepter la loi de l’autre.
Tu ne peux accueillir les autres que si tu es déjà le maître chez toi.
film muet qui, par excès de pédagogie, refoule ce qui, à même le cinéma, mobilise l’inconscient.
Le suicide est un événement avec lequel on (l’autre) ne peut jamais faire la paix.
Le spectre de Pinochet, qui incarne l’éternel retour du mal, continue à nous vampiriser.
Le « mourir » de Valdemar, suspendu pendant sept mois, est encadré par deux énonciations impossibles : « Je suis mort »
La déconstruction ordinaire, sans réponse, ça peut se consommer sans déplaisir, mais pas sans angoisse
La paternité n’est pas biologique, mais performative : est père celui dont l’enfant croit qu’il est le père