En liberté (Pierre Salvadori, 2018)
L’innocence exige une réparation aussi grandiose ou monstrueuse que la faute – et aussi le retour à l’ordre et à la loi.
L’innocence exige une réparation aussi grandiose ou monstrueuse que la faute – et aussi le retour à l’ordre et à la loi.
En se projetant sur d’autres surfaces, la trace d’un film parasite notre perception.
Dans leur bulle, inutiles et irrécupérables, les héros de la scène rock sont plus moraux encore que la moralité.
Un effacement radical de la voix singulière sous l’omniprésence du corps et du son.
Un film ne peut se présenter comme réel, virtuel, fantastique ou autre que parce qu’il est indiciel, indicatif
Ne craignez pas les catastrophes, car nous sommes protégés par une immunité quasi-miraculeuse, qui tombe directement du ciel.
N’étant ni mort ni vivant, le disparu ne s’efface jamais; nul ne peut limiter sa présence, ni empêcher qu’elle se renouvelle.
Au cinéma, il est impossible d’interpréter sa propre mort, mais on peut toujours la jouer.
Pour se sauver soi-même, il est préférable de pardonner : punir l’autre, ce serait se punir soi-même et s’interdire la transgression
Un monde clos dont les bords ne s’étendent qu’au prix d’une étrange et incontrôlable transformation.
Avec le nazisme, il n’y a plus ni père ni fils, ni mère ni enfants, mais une seule chair qui ne peut que vivre et disparaître en même temps.
Dans l’univers vide des lieux communs où tout et n’importe quoi peut être dit, il peut surgir de l’inattendu, de l’imprévisible, du nouveau.
Par sa voix, la chanteuse baroque réunit la vie, la mort, et l’au-delà de la vie, au-delà de l’être, plus que la vie.
Il aura fallu, pour que le fils prenne la place de l’antéchrist, carboniser le père, décapiter les femmes, réduire le logos en cendres.
Trouver le coupable, c’est impossible, mais ne pas trouver de coupable, c’est intenable, insupportable.
Les seuls amis qui me restent sont ceux qui ne répondent pas.
Quand disparaît la prophétie, l’espoir d’un monde à venir, alors disparaissent avec elle l’accueil de l’autre, l’hospitalité, la fraternité.
En associant le long du fleuve les lieux fragmentés de la dette, de l’économie et de l’échange, on appelle une autre unité, une autre éthique.
Tout autre, derrière l’apparence de normalité, est excessivement singulier, infiniment autre.
Tragi-comique, scandaleux, imparable et inéluctable, l’événement sacré qui fait de Dieu une femme.
Par la grâce d’une amnésie purificatrice qui annule les fautes, innocente, immunise du passé – on peut recevoir le pardon.
Puisque le monde ne répond plus, je ne peux l’interroger qu’en parfait étranger, dans la plus pure inconditionnalité, par le langage du cinéma.
Un cinéma de l’être rapporté à ses conditions de production, sans rêve ni fantasme, englué dans ses propres contraintes.
Une désagrégation où, dans son opposition chimérique à l’animal, l’humain se déconstruit, jusqu’à la mort d’un enfant
Au vivant inconditionnellement étranger à « notre » monde (l’autiste), on ne peut répondre que par l’exception, elle aussi inconditionnelle : « Je dois te porter ».
Dans une vacuité absolue, il cherche en elle un secret inavouable – mais il n’y en a pas.
Il faut un compte juste pour qu’une autre économie, un autre type d’alliance et d’altérité, se mette en place.
« Pour te venger, effacer tes dettes, il faut que tu t’en souviennes, même si, dans la pure présence, tu ne peux te souvenir que de rien ».
Quand le mal radical répond, c’est dans la langue intraduisible d’un sacrifice terrible, inaudible, impardonnable
Où la décision juste, crédible, ne repose plus sur le témoignage mais sur la trace calculable.
Il faut préserver le rapport sexuel, car c’est le seul rempart contre un ennui mortel.
Les pleurs du père déchu en deuil de sa culture, sa sophistication, son théâtre, son épouse, son fils et aussi de lui-même, en tant qu’homme, sans rien connaître de ce qu’il adviendra
Une série de pures rencontres, sans autre motif que le plaisir et le sexe, n’a pas d’autre horizon que la mort.
Il n’y a pas de limite au parasitage, pas de ligne protectrice qui ne puisse être franchie.
« Il faut œuvrer », à condition que l’orientation choisie reste suspendue à l’indécision ».
Une relation quasi-incestueuse, non dite, met à l’épreuve les identités, déstabilise les généalogies, brouille les relations.
Une force excessive, inquiétante, souveraine, s’impose sans considération ni pour la vie, ni pour la mort, ni pour la crédibilité du récit.
Une figure de défilement routier fait le lien entre les éléments d’un récit dont la diffraction est irréductible.
Pour accéder aux souvenirs, il faut pousser toujours plus loin le mouvement de la mimesis, multiplier les dédoublements.
Monstrueuse la tragédie d’un fils naturel dont on attend qu’il assassine une mère déjà morte, un père déjà suicidé, au prix de sa vie.
« Il faut mourir vivant »dit la photo-reporter, en laissant à d’autres les traces de son parcours, et un film.
Où l’inceste, étranger à la chaîne des dettes et des corruptions, peut sembler réparateur.
Le souverain de banlieue, ce jeune (lionceau) incontrôlable, introduit l’imprévisible, l’incalculable, dans le lieu clos de la cité.
S’arrêter sur le pont qui mène au fantasme, au rêve, en passant par la photographie.
« Ce que Lola veut, Lola l’obtient »; un siècle plus tard, elle aura suscité son film porté par un célèbre réalisateur, aussi excessif et démesuré qu’elle-même.
Pour résister aux pulsions de mort, de cruauté, il faut la pure gratuité de l’ornement féminin.
Il faut des femmes imprévisibles, illogiques, irrécupérables, pour créer entre les mondes d’autres liens.
Ni fiction, ni documentaire, ni théâtre, ni cinéma, ni genre déterminé – un cinéma aporétique contaminé par la mort.
Où l’on laisse à voir et entendre que tout film est fondé sur le sacrifice de la femme par des morts-vivant.
En répétant deux fois son nom dans le titre « JLG/JLG », Jean-Luc Godard redouble et redouble et dissémine l’écho de sa propre voix.
Dernier roman, dernier film, dernier producteur, dernière scène, et tout reste dans l’inachèvement.
Au-delà de tout calcul, une promesse d’amitié peut enjamber deux siècles.
Un film qui démontre l’impossibilité de l’art, et creuse son tombeau.
L’argent-voyou, qui semble exonéré et exonérer de toute dette, appelle la chance et porte la malédiction.
Jamais les excuses ni les regrets ne seront à la hauteur du mal fait.
Entre l’œuvre, la vie, la mort, il faut que la frontière reste indécise, indéterminée, infranchissable.
S’ensommeiller, se retirer du monde, renoncer à l’archive, affirmer son unicité pour finalement, enfin, mourir vivant.
Il faut, pour faire son deuil, spectraliser le mort, car porter un cadavre en soi, avec soi, est mortifère ».
Il faut, pour excéder la cruauté, recueillir sa force, la transformer sans rien qui puisse la compenser : ni argent, ni amour, ni gain, ni perte.
Le vingtième siècle aura été double – et je peux jouer, dans le plaisir et la douleur, sur cette duplicité.
Qui parasite l’autre prend le risque d’être parasité par l’autre.
Pour faire un couple comme pour faire un film, il faut multiplier les deuils, porter les endeuillés.
Pour s’emparer des possessions des hommes, dans son absolue souveraineté, la femme laisse libre cours à ses pulsions, y compris épistémiques
Les pères s’effacent, plus rien ne soutient les fils, il n’y a plus ni sujets, ni amis, ni amants.
À tout ce qu’on voulait faire de moi, j’ai acquiescé, mais on ne peut pas m’empêcher de dire « je ».
L’économie du salut, par l’initiative, la compétence et le savoir, venus de l’étranger.
Quand le consentement meurtrier, banalisé, ne dérange plus personne, la responsabilité devient un danger mortel.
Dans l’acte du criminel comme dans l’expérience du cinéma, il faut dominer l’image, la cadavériser, pour jouir du regard.
Pour qu’advienne le « oui », il faut se laisser aller à un cheminement vide, vacant, et implorer.
Là où ça décide, dans l’avenir, bénédiction et malédiction se confondent.
Il faut, pour vivre, faire son deuil de l’amour d’avant l’amour, l’archi-amour.
Refuser la peine de mort exige un engagement inconditionnel démesuré, illimité, incompatible avec quelque transaction que ce soit.
Il aura fallu dire « Je suis mort » pour que commence la vie en plus, la vie supplémentée par l’œuvre, plus que la vie.
L’amour (quasi-)incestueux est le seul qui, au coeur du continent noir, soit vraiment digne de ce nom.
Une séduction verbale, oblique, indirecte, instaure une liaison foisonnante mais trompeuse, décevante, déprimante.
Il suffit d’une goutte de sperme pour que s’efface la fiction d’une appartenance pure, indéniable.
Derrière le regard circulaire du système des médias, il y a des pleurs – impossibles à cacher, étouffer, réprimer, arrêter, surmonter.
Principe d’hospitalité : « Je voudrais apprendre à vivre, enfin ».
Pour que du nouveau émerge, il faut une désynchronisation, un décalage, qui relance la dialectique entre l’Autrefois et le Maintenant.
En se soustrayant à la logique de l’échange, le Juif perd tout, il est absolument exproprié, y compris de sa propre identité.
S’auto-punir en s’emparant, par un geste de cruauté impardonnable, de la poupée perdue d’une petite fille abandonnée.
On ne peut pas se préparer à la mort, tout ce qu’on peut faire, c’est en exiger toujours plus, plus encore que la vie.
Dans un film-cauchemar, la petite fille se retire après avoir payé le prix des blessures, des cicatrices, des souffrances que les autres se sont infligées.
Est star celui qui peut mourir sans mourir, faire du cinéma sans faire du cinéma, signer un film en le déconstruisant.
L’œil-caméra comme système d’aveuglement, qui ne fonctionne que pour mettre à mort ce qu’il filme.
Se débarrasser de l’obscène, le cacher, éviter de le rendre public, telle est la morale dont il faut prendre le contre-pied.
« Viens! » dit le lieu sans vérité, sans contenu, qui en appelle aux croyances, aux mouvements, sans les déterminer (Khôra).
Pour légitimer la nation chilienne, il aura fallu qu’un métis témoigne de l’extermination des Indiens, avant qu’il ne soit effacé lui aussi.
Pour se sauver, il faut affronter l’impardonnable.
Dire oui à l’amitié jusqu’à bâtir l’oiseau de bois, au confluent de la combe magique.
Mourir déjà mort (ou presque), sans laisser de trace, altère la possibilité du deuil.
Insensible, muette, masquée, sans cause ni raison, la figure du mal s’en prend prioritairement à sa propre famille.
On ne peut espérer communiquer avec un mort qu’à travers un dispositif de mémoire, un artefact, mais c’est impossible, ça ne marche pas, le récit reste inachevé.