L’horloger de Saint Paul (Bertrand Tavernier, 1974)
Quand la mise en acte d’une justice inconditionnelle, non négociable, appelle une solidarité sans réserve.
Quand la mise en acte d’une justice inconditionnelle, non négociable, appelle une solidarité sans réserve.
Je dois m’immoler par le feu, j’y suis poussé, incité sans but, sans raison, justification ni condition.
Plus la transgression est excessive, et plus elle reconduit le cycle de la dette.
En disparaissant, elles suspendent le monde dans lequel le film s’inscrit – sans laisser aucun indice sur l’autre monde.
Il vaut mieux, pour se dégager du deuil, choisir le pas de côté qui éloigne du réel.
Où une fiction circulaire scelle l’alliance autobiographique du cinéma avec un « je ».
L’innocent qui apparaît dans les fantasmes peut porter tout le poids de la faute, se muer en coupable universel.
Notre monde s’effondre, il n’y a personne pour nous porter et nous ne savons pas nous porter nous-mêmes.
Un film, dans le film, révèle une vérité dont il témoigne par le montage.
Là où des cadavres se nourrissent de cadavres, ça ne fait plus monde, c’est sans monde.
Mourir une deuxième fois, vivante, pour une autre alliance, plus porteuse d’avenir.
Je dois, pour sur-vivre, me dépouiller de tout ce qui m’appartenait : identité, culture, personnalité, profession, croyances, etc.
On peut pallier, par l’œuvre, la perte d’un regard unique, irremplaçable.
Une allégorie de la traduction du monde en film ou du film en monde.
Perdre un monde suppose de renoncer aussi à une part de soi , un quasi-suicide qui conditionne la possibilité de continuer à vivre.
Il n’y a pas de cinéma sans argent, mais il ne peut y avoir de cinéma que s’il l’excède.
Incapable de demander pardon, de renoncer à la perversion, elle choisit le vide, la déchéance, l’anéantissement.
Tenter de réunir des fraternités irréconciliables sans les contester de l’intérieur conduit à la paralysie, la tragédie, l’autodestruction.
Le sexe, un pharmakon qui, prétendant compenser ou remédier à la vacuité, creuse un vide encore plus profond.
Il s’agit, sous l’apparence de la transgression, de sauver la distinction tranchée qui oppose le bien au mal.
S’appuyer sur le mythe le plus courant pour inventer un autre référent, tout aussi mythique.
Au cœur de la plus phallogo-polémo-centrique des comédies, un homme impuissant ressuscite, en paix avec lui-même, après la Cène
Entre calculabilité universelle et incalculabilité du travail, le balancier de l’horloge oscille
Une virginité toute autre, d’avant toute virginité.
Déliée de toute dette, elle reste paralysée au bord de l’inconditionnel.
Je renonce à suivre les commandements de la société, du père, pour devenir ce que je respecte vraiment : un nom unique, irremplaçable, et rien d’autre.
Porter à l’excès la logique de l’échange pour faire un pas au-delà, le dernier pas, indifférent à l’échange.
Il aura fallu passer par l’expérience du porno, l’épreuve de l’horreur, pour enfin vivre autre chose que la vie courante : vivre plus que la vie
« Je suis mort » ne peut se dire que dans une langue toute autre, intraduisible.
Un pouvoir/impouvoir transactionnel, dérisoire, exposé à la dangerosité imprévisible de pouvoirs souverains.
Plutôt que d’interpréter un rôle dans un film, il aura préféré jouer ce rôle dans la vie en se retirant d’un monde dans lequel il ne pouvait que mourir.
Il faut, dans ce monde dangereux, apprendre à s’engager, prendre tous les risques.
À une exigence de fidélité venue d’ailleurs, des ascendants ou d’Afrique, on ne peut répondre que par un sacrifice, ou à défaut en pleurant.
Il faut, pour donner au film un poids de pensée, de réel, mettre en scène la non-réponse de l’autre.
Vivre sous la contrainte d’un devoir d’amour, un archi-amour indéterminé, insaisissable.
Une série de mises en abyme se recouvrent, s’étendent, s’excèdent, s’imposent comme source d’inspiration et d’autorité.
Ce film qui se termine par « rien » déclare, au-delà de tous les simulacres, rôles ou jeux sociaux, la valeur incommensurable de ce « rien ».
Une expérience d’hospitalité, même forcée, ça peut conforter le chez soi, faire du bien.
Archi-amour : ce sont tes dettes que j’acquitte, sans condition ni justification, au bénéfice d’un tiers.
Il faut, pour sauver les livres, sacrifier et sa mort et sa vie, mourir pour que vive l’à-venir des livres
Faire payer à l’autre l’écart entre survie et sur-vie.
Un collage de phrases mortes qui ne promet rien, n’engage à rien, mais appelle l’adhésion.
Dans le secret de la crypte, l’amour inconditionnel conduit à l’auto-sacrifice, au retrait, au salut.
Comment s’emparer d’une femme, la posséder par son secret, la garder par sa guérison – et surtout dérober son monde.
L’instant pour moi le plus décisif, celui dont je désire le retour avec le plus d’intensité, c’est celui de « ma mort », dont je me souviens sans l’avoir vécue.
La paralyse – ce temps de fermentation ou de bouillonnement qui est aussi la khôra du réalisateur.
Un pouvoir uniquement fondé sur l’affirmation charismatique de soi-même se met dans la dépendance absolue d’autrui.
Ce qui reste silencieux ne peut s’écrire que dans une langue étrangère, intraduisible.
Une grand-mère pour toujours sur le point de mourir, sans jamais franchir le pas.
Il aura fallu, pour commencer à vivre, un avertissement supplémentaire : tu te dois à la mort.
Un parcours dans les marges où la vie courante, sentimentale-économique, se dissout, s’efface, s’éclipse.
Accueillir l’étranger, c’est ce qui peut déclencher la haine la plus insensée, le rejet le plus délirant.
Du seul moment qui compte, la naissance, on ne peut rien dire ni rien se remémorer.
En racontant la vie d’un autre, je transgresse l’impossibilité de raconter ma propre mort.
En s’affirmant performative, la déclaration du transgenre, du non-binaire, appelle une confirmation publique, identitaire.
Jouir d’un vol, dans un désintéressement absolu, pour affirmer simultanément, sans les dissocier, son innocence et sa culpabilité.
Quand s’effondrent les limites, les parerga, rien ne peut arrêter la violence originelle, inouïe.
Il faut soit sacrifier les mères pour laisser vivre les filles, soit sacrifier les filles pour que les mères puissent vivre selon leur désir.
La pure souveraineté du mal radical, sans justification ni explication, face à la pure souveraineté du rejet de la peine de mort.
Comment écrire ce qui ne peut se dire ni en paroles, ni en images, mais seulement sur du vent, dans l’évanescence d’un film.
Quand l’ancrage territorial et temporel du cinéma risque de s’effacer, il faut attacher sa ceinture et continuer.
Un film sur l’amour : pas l’amour fou, mais l’amour en tant que fantasme, folie.
Pas d’union d’un couple, d’amour, de famille, sans se confronter aux traditions et à la mort.
Dans les marges périphériques où le monde se perd, il n’y a personne pour me porter.
Une aventure vécue en bordure parergonale du monde, dans le manque creusé par une disparition.
Un regard dans le film en appelle au-delà du film à un autre regard qui témoigne d’une alliance oto-biographique.
Une pure amitié qui ne repose sur aucune justification, sur aucun intérêt commun.
En jouant son propre effacement, le réalisateur revendique et assume sa responsabilité.
Aporie de l’amour inconditionnel : en exigeant le sacrifice de tout autre intérêt, il se soumet à une condition irréalisable, mortifère.
Dans un monde qui se déconstruit, il est tentant de se ruer sur les plaisirs, au risque d’aggraver le mal.
La nostalgie d’une extériorité impossible, dont il faut faire son deuil.
Un monde s’en est allé, il n’en reste rien d’autre que cette femme, la folle, l’exclue, qui ébranle à jamais « notre » monde.
Un film singulier qui affirme que rien dans l’œuvre d’art n’est singulier, exceptionnel.
À l’acmé de la violence, du calcul politique qui voue Aldo Moro au sacrifice, se pose la question de l’au-delà du pouvoir, du politique.
Le cinéma est un art discrépant, où sons, images, significations, etc., quoique simultanés, ne parviennent pas à s’accorder.
Il n’y a pas qu’une puissance souveraine de l’artiste, mais deux, qui ne peuvent que naître et mourir en même temps
Nettoyer, dans un pur linceul, la crainte et la culpabilité.
Il n’est d’art pur que régi par une puissance souveraine ayant tous les droits, y compris de détruire les conditions de sa survie.
Brouiller les frontières de la folie : une tentation de réalisateur, nécessaire, souhaitable, utopique et irréalisable.
Et le spectre déclara à Madame Muir : “Il faut que je te porte”.
Un cinéma brut pour un art horizontal, au plus proche de la terre et des tracas quotidiens.
Nul n’est innocent, il y a toujours un gouffre dans lequel chuter.
Allemands et Polonais se combattent, se font la guerre, échangent leurs rôles, et finalement, c’est le Juif qui est sacrifié.
Quand le monde se délite, il faut préserver l’ultime courage : porter l’enfant à naître.
Pour qui aime sans calcul ni condition, sans exiger aucune réponse, un coup peut être ressenti comme un baiser.
En portant l’enfant mort, le voyant fait le deuil de ce que lui-même a été.
Les nazis sont arrivés au pouvoir car le vieux monde s’était déjà effondré.
Mettre le leurre cinématographique en œuvre tout en le tenant à distance, le démontant et le déconstruisant.
Une auto-hétéro-bio-thanato-graphie féminine où chaque femme semble jouer le rôle d’une autre, jusqu’à l’épuisement.
Quand, dans l’échange d’argent, rien n’est « normal », rien n’est impossible, pas même l’événement qui change les règles.